La Chambre

[La Chambre de Coleen]

La porte avait été refermée avec un soin silencieux. Belig n'avait pas besoin d'allumer une bougie pour évoluer dans la pièce. La lumière fantomatique de la lune dans la brume était amplement suffisante.

Seule dans la chambre, elle esquissa trois pas de danse, tirant en même temps sur les rubans qui fermaient sa robe. Trois autres pas, et la robe glissa à ses pieds, formant un cercle duquel Belig bondit délicatement.

Nue comme au jour de sa naissance dans le froid de la pièce, elle courut jusqu'au grand lit qui trônait dans la pièce et se glissa rapidement entre les couvertures. Toute frissonnante de sentir les draps froids sur sa peau, elle tira l'édredon jusqu'à son menton.

Elle eut un rire léger, comme des perles de glace qui se figent dans l'air et reste accrochées aux ramilles des arbres, et sourit doucement, les yeux fermés, la tête reposant immobile sur l'oreiller blanc.

Elle semblait déjà endormie, mais, juste avant que le sommeil ne l'emporte comme l'hiver emporte tout ce qui vit dans la nature, elle rouvrit les yeux et murmura rapidement.

"Je ne crains jamais rien, quand tu es près de moi..."

Puis elle sombra, immobile comme l'eau sous la glace.

[Chambre de Coleen]



Lain avait veillé, à son habitude.
Ses pas l'avaient conduit jusque sur la lande où il était resté longtemps immobile, le vent envolant sa chevelure lunaire.
Il avait écouté les bruits de la nuit, les rêves des hôtes de la maison et les murmures inquiets.
Il était rentré avec l'aube et chacun de ses pas dans la maison avaient réveillé les foyers dans les cheminées des chambres, dispensant une douce chaleur à ses hôtes, désirés ou non.

Dans la chambre de Coleen, le châle brodé glissa sur le montant d'acajou du miroir en pied et le cercle de flammèches disparut progressivement.

Sa main se posa sur le bouton de la porte de la suite Chattan en chassant le givre qui luisait jusque ses montants. Là aussi, au rythme de ses pas, le feu reprenait vie dans l'âtre et la fine couche de glace qui recouvrait toute chose s'évaporait.
Les fleurs d'un vase que la nuit avait mis à mal reprirent vie et dressèrent fièrement leurs corolles odorantes.

Il s'assit sur le lit et avec un regard tendre, posa sa main sur la main froide de sa soeur, lui communiquant toute la chaleur qu'à première vue il ne semblait pourtant pas posséder.

Les mots qu'il ne prononça pas se frayèrent un chemin dans l'esprit endormi de Belig, ouvrant les portes closes de givre.

*Le soleil est levé depuis longtemps, il est temps*

On aurait presque pu entendre un léger craquement. Comme la glace qui fond. Et puis, Belig ouvrit les yeux.

Deux yeux verts comme une forêt dans laquelle on s'est perdu. Et puis elle reconnut Lain et apparurent deux éclats de soleil rieur : la forêt devenait accueillante. Ses lèvres devenues rouges sous l'afflux du sang s'étaient retroussées dans un sourire joyeux. Elle s'étira sous sa couette, laissant deux bras nus s'étendre entre les oreillers.

Elle rit et tendit la main, comme un enfant, vers sa robe d'intérieur. Elle voulait que Lain la lui donne.

"Il fait beau, n'est-ce pas ?"

Une affirmation plutôt qu'une question. Belig regarda par la fenêtre. Elle sourit. C'était le matin, mais les rossignols se mettaient à chanter.

Lain se redressa et alla prendre le vêtement sur un valet de bois.

"Il fait très beau. Si beau même que les oiseaux du soir en perdent la tête."

Il sourit tandis que le chant des rossignols reprenait de plus belle et que les trilles semblaient s'étirer à l'infini.
Il sentait le coeur du domaine battre dans sa poitrine et les murmures de la veille s'étaient tus.

"Nous aurons peut-être une journée chargée, mais il n'y a point de trop vive inquiétude encore. L'enfant va se réveiller et je dois rejoindre les premiers de nos hôtes qui sont déjà descendus."

Il fit quelques pas vers la porte et se retourna.

"Ah et.. il y a encore quelque chose sur le pont."

Les mots avaient été prononcés sans émotion, il n'en ressentait pas.

Belig se saisit de la robe d'intérieur et la passa dans le mouvement qu'elle fit pour sortir du lit.
A peine sur pieds, elle courut vers la fenêtre et sourit au soleil, à l'air encore frais du matin et à toute chose que la création offrait à son regard.
Elle écouta son frère et tenta par delà les taillis d'apercevoir le pont.

"Une chose ? Oh… tu veux dire… Tu as une de ces façons de parler des visiteurs, toi ! Si Coleen te prenait comme modèle, nous n’arriverions jamais à en faire une femme accomplie."

Elle sourit en pensant que le modèle qu'elle-même offrait était loin de la perfection.
Toujours tournée du coté du jardin, elle secoua ses boucles rousses qui n'avaient pas besoin de peigne pour se mettre en place. Une brise douce agita les branches des arbres tandis qu'une pluie de pétales se répandait sur les allées de la roseraie. Les fleurs de la veille laissaient la place à celles du jour nouveau.

Belig s’étira doucement face tournée vers le soleil. Un peu partout sur le domaine, une folie de couleurs et de parfums explosa sur les buissons, dans les plates bandes et les massifs.

"L'anniversaire de Coleen doit être fêté comme il se doit." Murmura la jeune femme en se retournant vers l'homme blond.

Elle s'avança vers lui et déposa un baiser sur ses lèvres froides, l'enlaçant un instant de ses bras, enroulée à lui comme une liane, tandis que sa peau rosissait de la sève montante qui bouillonnait dans ses veines.
Elle se détacha pourtant et serrant la ceinture de satin de son vêtement, se pencha pour apercevoir son reflet dans le miroir qui trônait à quelques pas.

"J'ai faim !"

Sans plus de façons, elle passa devant son frère et sortit dans le couloir.

Comme les pas de Lain avaient ravivé chaque foyer, les pas de Belig redonnaient vie à tous les bouquets de la maison.
Sur la table du petit déjeuner à l'étage du dessous, un oeil averti aurait été étonné de voir quelques bourgeons éclore au pédoncule d'une pomme. Partout, dans chaque vase, dans chaque jardinière, une frénésie de couleurs inattendues faisait jour.
Certaines compositions aux grappes fleuries devenues soudain trop lourdes menaçaient de s'écrouler en avalanches bariolées.
Quelques oiseaux, l’œil pétillant et le mouvement vif, se sentant bienvenus dans cette maison où la vie soudain explosait de joie, prirent la liberté d'entrer et d'éclabousser de leurs chants les pièces à l'atmosphère jusque là calme et paisible.

Jusqu’aux fleurs peintes sur les murs qui semblaient relever la tête dans un mouvement de gaieté festive.