La Chambre

[Le Grand Salon]

Coleen poussa doucement la porte de sa chambre et avança dans la pièce éclairée par la faible lueur de la lune qui perçait à travers le brouillard. Les grands rideaux n'étaient pas tirés et la fenêtre laissait apercevoir une partie de la roseraie et un peu plus loin le pavillon des Chattan ainsi que l'écurie qui y était accolée. Dans la journée, elle aimait pouvoir s'assurer d'un seul coup d'oeil que l'écurie restait calme. Mais pour l'instant tout était dans l'obscurité de la nuit.

Elle s'approcha de sa table de chevet et y alluma une lampe à pétrole qui éclaira la chambre de sa lumière dorée et dansante. La pièce était à l'image de sa propriétaire : sobre, fonctionnelle et sans fioriture ni excentricité. Un lit pour dormir, une table de chevet pour y poser un livre et une lampe, un secrétaire pour travailler et écrire et une armoire pour ranger ses vêtements. Rien de plus, rien de moins. La décoration restait discrète, un bouquet de fleur ici pour donner une touche de couleur et un tableau là pour habiller un mur.

Blotti entre les plis de son édredon se prélassait un chat aux longs poils, la queue en panache marbrée de gris et de fauve. Etiré comme un pacha il laissait voir son ventre blanc et Coleen y glissa sa main avec douceur. Aristote, elle l'avait nommé ainsi après un cours de Lain, passait les trois quarts de la journée dans cette chambre et ne sortait que pour chasser, manger ou faire ses besoins avant de revenir et se blottir de nouveau sur l'édredon.

Coleen se redressa et se tourna vers Belig pour prendre enfin la parole.

"Le prêtre a posé beaucoup de questions. Il va sûrement vouloir s'entretenir avec toi et Lain pour avoir des réponses." dit-elle, sous-entendant qu'elle n'avait pas donné de réponse elle-même, comme à son habitude.

"Que sont venus chercher ces étrangers cette fois-ci ?" demanda-t-elle d'un ton indifférent en s'asseyant sur le bord de son lit pour délacer ses bottines noires.

Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Elle n'avait pas mis un pied dans la chambre qu'elle avait eu envie de se blottir contre le chat.
Et elle l'avait fait. Elle s'était laissé tomber sur l'édredon riant silencieusement de sentir l'air la porter un instant avant de s'enfuir, la laissant retomber dans les plumes. Aristote avait levé une paupière et l'avait refermé. Il n'approuvait pas sans doute. Elle ne donnait peut-être pas un très bon exemple.

Coleen était venue caresser le ventre blanc du chat. Aristote approuvait sans doute. Il s'était mis à ronronner doucement. Coleen était tendre avec Aristote.
"Le prêtre a posé beaucoup de question. Il voudra des réponses."
Belig tourna son visage dans l'édredon. Ils posaient tous des questions, ils voulaient tous des réponses. Belig voulait juste être un chat, roulé sur l'édredon.

Elle ne se releva que lorsque Coleen se mit à délacer ses bottines. D'un bond elle fut sur ses pieds. Trois pas et elle était devant Coleen, à genoux, à défaire les lacets de l'autre bottine.

"Je ne sais pas mon ange... Des réponses peut-être. Ils cherchent ce qu'ils ne savent pas chercher parce qu'ils fuient. Ils trouveront ce qu'ils ne cherchent pas. Je ne sais pas..."

Belig sortit doucement de la bottine, le pied de Coleen, et le prit doucement dans ses mains pour le détendre. Elle-même était presque toujours pieds nus. Pauvre pied, enfermé, si petit, si blanc. Petit pied d'un ange.

Un mince sourire vint éclairer le visage de Coleen, regardant Belig à genoux au pied du lit et tenant son pied entre ses mains comme un objet fragile et précieux. Ce qui la faisait sourire, c'était sa réponse sur les étrangers. Si avec elle il y avait absence de réponse, avec Belig, la réponse n'en était pas une ou se perdait dans des élucubrations sinueuses qui au final, ne répondaient à rien ou s'éloignaient du sujet.

Coleen se releva doucement et rangea ses bottines à leur place. Le parquet n'était pas froid sous ses pieds nus mais les aspérités du bois la chatouillaient. Aristote qui avait maintenant le lit rien que pour lui s'étira comme s'il essayait de prendre toute la place.

"Le prêtre m'a proposé d'aller visiter avec lui la vieille église. Je n'ai pas revu Lain pour lui demander la permission, alors je te demande à toi." dit-elle d'un ton bas en essayant de déboutonner sa robe dans son dos.

Une petite main blanche qui se perd dans un pli violet. Coleen n'arrive pas à dégrafer sa robe.
Belig se redressa d'un étirement. Trois pas et elle est derrière Coleen en train de glisser ses doigts souples entre les agrafes et les lacets de la robe et du corset.

Elle fit une pause, infime, lorsque l'enfant posa sa question, avant de reprendre la libération de Coleen.

"Je ne pense pas Coleen... Pas seule. Il faut demander à Lain..."

Elle souffla un coup sur la nuque de Coleen en riant, signe qu'elle avait fini de délacer l'horrible chose, et ajouta d'un ton rieur et pourtant sérieux.

"Lain t'a bien dit qu'il ne faut pas rester seul avec les personnes qu'on ne connaît pas, n'est-ce pas ?"

Coleen cessa de chercher les agrafes de sa robe quand elle sentit Belig derrière elle les défaire à sa place. A sa question, Belig lui faisait déjà comprendre qu'elle ne pourrait pas aller seule à l'église en compagnie du prêtre.

Coleen n'émit aucun signe de protestation et ne chercha pas à convaincre sa tutrice qu'elle serait 'sage et prudente' pour la prier d'y aller quand même. La polémique était inutile, s'ils lui refusaient cette sortie, c'était qu'ils avaient une bonne raison. Restait à savoir laquelle.

Belig termina de la libérer de ses vêtements. Coleen retint le tissu contre elle et alla se placer derrière son paravent, ne répondant pas tout de suite à la question de la jeune femme. Corset ou non, il fallait remarquer que la jeune fille marchait toujours avec cette même raideur et le dos droit comme un piquet. Elle retira sa robe qu'elle posa soigneusement sur une chaise ainsi que son corset, puis entreprit d'enlever sa chemise pour enfiler sa longue robe de nuit blanche ornée de dentelle et de volants.

"Oui c'est ce que Lain dit tout le temps." répondit-elle d'un ton égal en sortant de derrière le paravent. Elle prit place sur la chaise devant son bureau et commença à défaire les pinces qui retenaient ses cheveux noirs. Les belles boucles que lui avaient faites Moira pour le dîner glissèrent sur ses frêles épaules blanches.

"Il m'a aussi dit de ne pas rester seule à seul avec un homme dont il ne m'a rien dit d'autre... était-ce de ce prêtre dont il parlait ? Si c'est le cas, je crains alors d'avoir désobéi..."

Elle ouvrit un tiroir et y sortit une brosse à cheveux argentée aux poils doux et soyeux.

La brosse ne fut pas immédiatement saisie. Un instant, Belig était resté le regard vague, un peu tendue, ailleurs.
Puis elle avait glissé, silencieuse sur le tapis moelleux, avant d'enlacer la petite tête de Coleen dans ses bras, penchée sur l'enfant assise devant le miroir. On n'y voyait plus que des boucles de feu mêlées à des boucles noires.

"Je sais mon ange, je sais. Ce n'est pas grave, tu ne savais pas encore. On ne t'avait pas encore dit qui c'était..."

Elle posa un baiser léger sur la tempe de Coleen.
Puis subitement, elle fit un tour sur elle-même en riant, attrapa la brosse et commença de peigner lentement la chevelure sombre. Elle s'était mise à genou derrière la chaise pour le faire plus aisément et pouvait ainsi voir dans le miroir le visage de Coleen à la même hauteur que le sien.

Elle avait un air espiègle, celui d'une mère qui s'amuse avec son enfant. Elle posa un menton décidé sur l'épaule de la jeune fille.

"Mais dis-moi ce que tu penses de... Owen Burnett !"

Avec une petite grimace au miroir, elle retourna les cheveux de Coleen qu'elle tenait dans la main : les pointes en bataille sur la tête de la jeune fille dans une parodie de la coiffure du marin...

Coleen leva les yeux de la brosse à cheveux et se regarda dans le miroir un instant. Elle se demandait à qui elle ressemblait le plus. A son père ou à sa mère ? Elle ne savait pas. En tout cas, elle ne ressemblait ni à Lain avec ses cheveux pâles, ni à Belig avec ses cheveux de feu. Elle était à part, différente de tous avec ses cheveux noirs et ses yeux violets.

Dans le reflet du miroir elle aperçut des boucles rousses venir se mêler aux siennes, Belig l'enlaçait. Par ses paroles, la jeune femme confirma qu'il s'agissait bien du prêtre que Lain lui avait défendu de voir en tête à tête. Qu'avait-il donc de spécial pour qu'ils veuillent la tenir loin de lui ? Il n'avait pas l'air pourtant bien méchant.

"Il est malade... dis-moi Belig, quelle maladie mortelle fait tousser ? Il a dit qu'une de ses prochaines toux serait la dernière..."

Coleen plissa les yeux et fixa Belig dans le miroir alors qu'une raison potentielle lui venait à l'esprit.

"Est-il contagieux ? Est-ce pour cela que Lain m'éloigne de lui ?"

Belig avait pris la brosse et la faisait glisser dans ses cheveux d'ébène qui reflétaient la lumière dorée des bougies. Les boucles, lissées sous le poil soyeux de la brosse, reprenaient légèrement forme en rebondissant autour de son visage. Mais après une nuit, sa chevelure serait redevenue aussi raide qu'avant et Moira devrait s'atteler de nouveau à lui créer de belles boucles, surtout que demain était un jour spécial.

Belig avait l'air joyeuse et avait un air espiègle qui prédisait un geste ou une parole amusante. Et ce fut effectivement le cas. Coleen se mit à sourire en voyant le semblant de coiffure rappelant le capitaine que lui faisait Belig. C'était plus ou moins ressemblant, il ne lui manquait plus qu'un peu de barbe.

"Ce que je pense d'Owen Burnett... je pense que c'est un marin et qu'il n'a rien à faire dans les landes écossaises."

Réponse typiquement 'Coleen'.

Elle n'avait pas répondu aux premières questions de l'enfant. Comme si elle n'avait rien entendu. Elle était souvent comme ça, Belig, en immersion dans son fort intérieur, et les questions passaient en effleurant à peine la surface.

Elle rit seulement à la réponse de Coleen. La jeune fille avait un esprit vif, qui savait résumer en une phrase, peu obligeante, mais néanmoins très juste, tout un caractère.

"Pauvre Capitaine... Il avait un bandage à la main, il n'aime pas beaucoup les oiseaux je crois..."

Belig recoiffa la pointe des cheveux de Coleen, et, tout en les brossant soigneusement, elle pencha la tête sur le côté pour voir le reflet de Coleen.

"Et... Monsieur Logan ? Oh, et Miss Windfield ? qu'est-ce que tu penses d'eux ?"

Pas de transformation des cheveux cette fois, juste les yeux grands ouverts pour Logan et un battement de cil excessif en mentionnant la jeune demoiselle américaine. Une mimique cocasse pour finir. C'était un jeu que de définir les nouveaux venus avec Coleen comme peintre de la nature.

Une fois ses cheveux parfaitement démêlés, Coleen reprit lentement la brosse entre ses mains et la regarda sans la voir vraiment. Ses initiales étaient gravées dans le métal argenté. Probablement un cadeau de ses parents dans la toute première année de sa vie.

Le visage de Coleen se ferma. Elle n'aimait pas penser à ses parents. Trop de sentiments, trop peu de souvenirs.. ou l'inverse... L'arrivée de tous ces étrangers lui embrouillait l'esprit.

"Ou peut-être que ce sont les oiseaux qui ne l'aiment pas." rectifia-t-elle au sujet d'Owen.

Coleen reposa la brosse dans le tiroir et se leva pour se diriger vers son lit sur lequel elle s'assit, posant sa main sur la fourrure d'Aristote qui s'étira en baillant. Elle leva les yeux vers Belig et donna ses réponses concernant les deux nouvelles personnes citées.

"Monsieur Logan est un homme fort qui n'en a que l'apparence et Miss Windfield est aussi utile qu'un pot de fleurs sur un guéridon."

Coleen écarta la couverture du lit et se glissa entre les draps. Ils étaient frais mais ne tarderaient pas à se réchauffer. Le chat se leva pour mieux se blottir entre les plis de la courtepointe.

"Tu n'as pas répondu à ma question sur le prêtre Belig... je vais finir par croire qu'il a vraiment quelque chose d'important à cacher et que vous ne voulez pas que je le découvre..."

Même si Belig ne lui répondait toujours pas, elle ferait ses propres recherches...

L'enfant avait ce petit air futé qui disait qu'elle avait une idée derrière la tête.
Belig se mordilla la lèvre. Elle s'était assise sur le bord du lit, poids léger qui incurvait légèrement le matelas, et arrangeait doucement le drap sous le menton de Coleen. Elle ne savait pas quoi répondre.

"Je ne connais pas les réponses, petit oiseau... Il y a des gens qui sont trop sombres. Il ne faut pas les voir. Lain, Lain te dira, lui, pourquoi."

Belig retrouva un sourire. Lain savait toujours.
Elle traça d'un doigt léger les contours du visage de Coleen, avant de se pencher sur elle et de poser un baiser sur le front blanc.

"Bonne nuit, Coleen, And flights of angels sing thee to thy rest..."

Un pouce vint remplacer les lèvres sur le front doux de l'enfant, et Belig traça rapidement, mais avec beaucoup de tendresse, une croix. Puis elle se redressa dans un froissement de tissu et éteignit la lampe à pétrole près du lit.

La pièce n'était plus éclairée que par la lumière du couloir qui traçait une raie jaune dans la pièce. Aristote tourna en rond sur lui-même et se mit à ronronner doucement. Belig était maintenant debout près de la porte, une main sur le chambranle, l'autre sur la poignée.
Elle attendait que tout soit calme...

Le drap soigneusement remonté sous son menton par les soins de Belig, Coleen regardait la jeune femme qui visiblement réfléchissait quoi lui répondre. Des gens trop sombres qu'il vaut mieux éviter... cela signifiait qu'elle savait pertinemment en quoi il était "sombre". Jusqu'à preuve du contraire, le prête pouvait simplement paraître comme un vieil homme malade à l'allure peu sympathique. Mais on ne juge pas les gens uniquement sur leur apparence, et Belig le savait. Or Belig venait de dire qu'il était sombre, c'est donc que le prête l'était réellement, que Lain et Belig le savait et que c'était pour cette raison qu'ils l'éloignaient d'elle. Il ne restait plus qu'à savoir ce que signifiait exactement "sombre" et ce que cet homme cachait.

"D'accord Belig, je demanderai à Lain." dit-elle d'un ton bas mais déterminé.

Coleen esquissa un sourire quand la jeune femme vint embrasser son front puis elle hocha doucement la tête lorsqu'elle lui souhaita une bonne nuit.

Coleen leva les yeux vers le plafond de sa chambre que la lune venait éclairer et sentit son chat se réinstaller une nouvelle fois entre les plis de la courtepointe.

"Bonne nuit Belig."

Coleen ferma les yeux. Demain serait une longue journée.

[Chambre d'Irvine et Owen]

Les images s'estompaient, le calme vint en descendant l'escalier.
Il était seul mais il sentait leurs mains douces effleurer ses cheveux et il entendait leurs murmures à chaque marche. Il sourit et sentit leur inquiètude et leur tendresse.

Arrivé au premier étage, il longea le couloir de son pas silencieux. Ses doigts glissaient sur le cadre des tableaux, se perdait dans les couleurs passées des toiles et caressait les visages peints.

Il sourit à Belig avant d'arriver à sa hauteur, une chaleur vibrante et aussi profonde que sa voix quand il murmura.

"Est-elle endormie ?"

Il entra dans la pièce et se pencha vers la fillette pour déposer un baiser sur son front, avant de lisser doucement une mèche de ses cheveux.
Il se releva et les candélabres du couloir s'éteignirent.

"Je veille, Belig, va te reposer. Il n'y a rien que tu dois craindre."

Belig avait doucement ouvert la porte pour laisser passer Lain. Un léger hochement de tête avait suffit à dire que oui, l'enfant dormait maintenant.
Elle restait immobile, sur le seuil de la porte, semblable à un arbre en automne, flamboyant mais fatigué.

Mais lorsque la lumière disparut du couloir, ce fut comme si l'hiver l'avait prise. Eclairés par la lune, ses cheveux semblaient couverts de givre, sa peau de neige. Mais ses yeux restaient chaud comme un feu en hiver, et l'on savait que la sève coulait toujours dans les veines de la jeune femme.

En un bruissement aérien, elle fut à côté de Lain et posa un baiser sur la pommette de son frère.

"Je vais. N'oublie pas de me réveiller..."

Elle laissa son front reposer quelques instants sur l'épaule de Lain avant de repartir, silencieuse.

Les fleurs dans le vase, fraîches tout à l'heure, étaient fanées maintenant.

[Suite Chattan - La Chambre]

Lain avait suivit des yeux la sortie de la jeune femme avant de faire le tour de la pièce de son pas silencieux.
Il se dirigea vers le haut miroir sur pied qui trônait dans le coin de chambre et posa un court instant sa main sur la glace. Puis d'un geste lent. il couvrit l'objet d'un châle d'indienne brodé.

Devant la fenêtre aux vitres embuées par la fraîcheur du soir, il s'assura que les rideaux épais étaient bien tirés.
Enfin il s'arrêta devant la cheminée et les flammes eurent un sursaut avant que les braises ne s'ordonnent en un début d'arrondi.
Un oeil averti aurait peut-être aperçu, se dessinant sur le parquet de la chambre une suite luisante de minuscules flammèches qui n'embrasaient pas le bois et entouraient le lit où reposait la fillette endormie, en un cercle parfait.

Puis il sortit de la chambre et disparut dans l'ombre épaisse du couloir.

[Suite Chattan - la Chambre]

Coleen ouvrit les yeux. Elle les referma puis les rouvrit, se les frottant légèrement de la paume de sa main. Un léger sourire apparut sur ses lèvres, elle était parfaitement réveillée. Il ne lui fallait guère de temps, pas besoin de longs étirements, pas besoin de bailler longuement ou de marcher en titubant. Quand elle se réveillait, Coleen était opérationnelle à l'instant.

Considérant que traîner au lit était une perte de temps et d'un ennui terrible, elle se leva et se mit debout, pieds nus sur le plancher de sa chambre. Sa robe de nuit glissa jusqu'à ses chevilles d'un mouvement léger. Elle se dirigea vers sa fenêtre et tira les épais rideaux. La lumière vive qui entra illumina la chambre jusqu'à présent dans la pénombre. Coleen plissa les yeux, le temps qu'ils s'accommodent et regarda vers le pavillon des Chattan ainsi que vers l'écurie, baignée du soleil de mai. Tout le domaine était fleuri et magnifiquement coloré et le soleil brillait. La journée serait belle encore une fois, pour son anniversaire.

La jeune fille enfila ses pantoufles de tapisserie et tira doucement le cordon tissé qui pendait le long du mur à côté de son lit. Elle aurait besoin de Moira pour se préparer comme il se devait.

[Salle de Toilette]

[La salle à manger]

Moira avait monté les escaliers en tentant de lisser son tablier, de rajuster sa coiffe et d'enlever les cheveux de son visage. A l'arrivé, le résultat ne présentait pas de grande différence avec la situation originale, mais cela n'importait guère. Tout est dans la bonne volonté qu'on y met.

Elle arriva devant la porte de la chambre, frappa trois coups brefs et entra en regardant autour d'elle. Mademoiselle Coleen devait être dans la salle d'eau.

"Je peux vous aider Mademoiselle ?"

Elle avait lancé cela d'une voix joyeuse et inquiète. Joyeuse, parce qu'elle aimait bien Coleen et que c'était son anniversaire. Inquiète, parce qu'il y avait toujours la possibilité qu'on ne veuille plus d'elle, n'est-ce pas. En même temps, elle alla ouvrir en grand la fenêtre et commença à ramasser les habits qui étaient toujours par terre.

Mais joie ! Mademoiselle avait besoin d'elle ! Moira déposa les vêtements sur un fauteuil et passa dans la salle d'eau.

[Salle de Toilette]

"Celle-là sera parfaite, Moira." avait-elle répondu en voyant la robe qu'elle avait choisie.

Coleen avait remarqué la taille cintrée de la robe. Voilà qui faisait moins robe de "petite fille" et plus d'adolescente. C'était parfait.
Et puis à voir le regard pétillant de Moira, elle aimait beaucoup cette robe aussi.

Retournée dans sa chambre, la jeune fille se plaça derrière son paravent et retira la serviette de bain pour enfiler ses sous-vêtements : une fine chemise de coton blanc et un pantalon à volants.

Revenant au centre de la pièce, elle laissa Moira serrer les lacets de son corset. On pouvait toujours se demander quel était l'utilité pour Coleen de porter un corset tellement elle se tenait droite naturellement. Moira savait qu'elle pouvait serrer les lacets sans crainte, Coleen ne semblait jamais contrariée par ce vêtement contraignant.

Une fois cela fait, Coleen enfila la robe choisie par Moira, la laissant nouer le noeud dans son dos pendant qu'elle laçait ses bottines. Elle s'assit enfin devant sa coiffeuse pour la dernière touche : la coiffure.

"Dis-moi Moira... Quel jour tombe ton anniversaire ?" demanda-t-elle en fronçant les sourcils, s'apercevant qu'elle ne s'était jamais posé la question.

"... Et quel âge as-tu exactement ?"

Il lui semblait qu'elle avait toujours connu Moira ainsi.. silhouette menue et sourire de petit fille.

[Salle de Toilette]

Moira qui avait commencé à passer la brosse dans les cheveux de Coleen s'arrêta un instant et regarda le visage de la jeune fille dans le miroir.

"Hééé ?" fut la première réponse qu'elle donna, d'une expressivité indéniable quoique manquant sans doute de clarté.
Moira reprit son travail, un air perplexe sur le visage. Air perplexe qui se transforma bientôt en air joyeux.

"Vous savez Mademoiselle ? C'est la première fois qu'on me pose la question ! Mademoiselle est si gentille !
Le jour de ma naissance, je ne sais pas trop, chez moi, on était trop nombreux pour se souvenir de tout le monde. Mais je suis née au printemps je crois. Et c'était il y a... hmm..."

Moira interrompit de nouveau son travail pour réfléchir, tapotant d'un doigt ses lèvres. Elle s'arrêta pour essayer de compter sur ses doigts, mais visiblement s'emmêla assez vite et finit par hausser les épaules afin de ne pas s'arracher les cheveux.

"Hé ! je ne sais plus ! Très longtemps en tout cas. Au moins vingt ans."

Moira avait l'air d’être très fière d'avoir plus de vingt ans. Elle se remit à la coiffure de Coleen.

"Chez moi, on fêtait les anniversaires de tout le monde à Noël, parce que comme le petit Jésus était né, alors tous les enfants étaient nés. C'est ce que le vieux y disait. Heu, enfin, le vieux, c'est mon père, on l'appelait comme ça, mais c'était pas méchant hein... Et même c'était lui qui disait "Viens faire une bise au vieux".
Alors c'était pas méchant hein..."

La jeune servante commençait à rougir jusqu'à la racine des cheveux, et à essayer de se rattraper en faisant de grand moulinet avec le ruban qu'elle était sensée mettre dans les cheveux. Elle finit par se taire complètement et par garder les yeux soigneusement rivés sur la chevelure de Coleen, en ramassant les cheveux comme sa maîtresse lui avait demandé.

"Pardon Mademoiselle. Je ne parle que de moi, et de ma famille, mais je suis contente d'être ici."

Moira renifla assez peu élégamment, signe qu'elle était au bord des larmes.

Coleen croisa le regard de Moira dans le miroir, ses yeux violets scrutant le visage de la jeune servante. Elle sembla quelque peu surprise par la question mais y répondit avec semble-t-il toute la franchise qui la caractérisait... c'est à dire un amoncellement de paroles floues et embrouillées.

Coleen aimait les réponses claires et précises. Les siennes étaient d'ailleurs toujours ainsi. Un oui ou un non valait mieux selon elle qu'une argumentation qui finissait par se perdre elle-même. Mais Moira n'était pas la seule à rester imprécise. Lain et Belig ne répondaient jamais clairement à ses questions non plus. Coleen avait parfois l'impression de vivre dans un monde d'imprécisions et de questions, ce qui l'agaçait.

Mais de cela, la jeune fille n'en montra rien car Moira semblait joyeuse de pouvoir lui répondre et elle ne voulait pas la blesser. Elle se contenta donc de regarder son reflet ainsi que sa coiffure qui prenait forme petit à petit. Si Moira n'était pas très douée en explications, il était net qu'elle avait un donc pour la cuisine et pour les coiffures.

"Et moi je suis contente de t'avoir Moira. Qui me ferait d'aussi jolies coiffures si tu n'étais pas là ?" dit-elle en souriant légèrement.

Coleen se releva et jeta un dernier regard dans le miroir pour s'assurer qu'elle n'avait rien oublié. Elle n'était pas du genre à se contempler des heures devant un miroir pour apprécier son image ou en faire la critique. Purement fonctionnel, toujours. Tout était parfait.

Coleen se retourna vers Moira et lui sourit doucement.

"Et bien si tu es née au printemps, nous dirons qu'aujourd'hui est également le tien. Joyeux anniversaire Moira." dit-elle en venant poser un bisou sur la joue de la jeune fille avant de sortir de sa chambre.

[La Salle à Manger]