La Salle à Manger

L'anniversaire de Mademoiselle ! Fichtre. Contente qu'il y ait du monde, mmh, c'était une autre affaire.

Owen s'avança également vers la table, en fit le tour d'un regard attentif et gourmand, puis préleva un petit gâteau qui, selon lui, dépassait du plat et rompait l'harmonie de la nature morte. Cela tombait bien puisqu'il avait l'air succulent. Et qu'il l'était, d'ailleurs.

« Si "Mademoiselle" désigne la jeune pupille de nos hôtes, alors oui je la connais. Ou plutôt, je vois qui c'est. Une jeune fille répondant au nom de Coleen avec qui j'ai tenté de discuter hier soir au dîner. »

Il résista à la tentation de prendre un second gâteau même si son absence serait passée inaperçue.

« Tenté seulement, hélas. La jeune personne n'est pas d'un naturel sociable, d'après ce que j'ai pu en juger... Remarquez, elle a de qui tenir. »

Il détourna le regard des plats tentateurs et sourit à Nuala. Elle lui avait confié la veille qu'elle n'avait pas eu l'occasion de rencontrer leurs hôtes, et il avait brièvement résumé la situation de ceux-ci.

« Alors nous sommes tous deux visiteurs importuns. » remarqua-t-il simplement lorsqu'elle souligna sa gêne. « Mais... si c'est l'anniversaire de Mademoiselle... »

Il fronçait les sourcils, examinant la table. Il finit par y prendre une des serviettes blanches et, en un pliage habile, en fit un cheval. Qui piquait un peu du nez, certes, mais on reconnaissait l'animal. Une deuxième serviette devint sous ses doigts un oiseau, et une troisième, une petite fille. Ou du moins une silhouette humaine. Les trois personnages prirent place en une saynète sur la table.

Owen recula vers la jeune femme et émit un petit rire.

« Je doute qu'un clin d'oeil fantaisiste soit très bien vu ici mais enfin... »

Son attention cette fois-ci toute à Nuala, il s'enquit:

« Avez-vous passé une bonne nuit après une soirée agitée ? »

Il ignorait si ce genre de questions était convenable ou non, mais cela lui paraissait naturel de s'en inquièter.

Nuala se retint à grand peine d'imiter le capitaine et de se servir, les restes d'une stricte éducation anglaise refaisant surface. Elle se contenta d'observer le capitaine déguster son gâteau avec délectation, en se demandant s'il faisait exprès d'avoir l'air si satisfait !

Ses doigts pianotant sur la nappe blanche, Nuala récolta toutes les informations sur la maison que lui fournissait Owen. A en juger par les dires du capitaine, la famille était peu sociable. Nuala avait croisé plusieurs personnes à l'office, en arrivant la veille au soir. L'arrivée impromptue de tant de visiteurs devait déranger leurs habitudes.

La jeune femme sourit à voir le capitaine s'amuser avec les serviettes blanches. Certes, on avait un peu de mal à reconnaître un chien dans la dernière silhouette, mais enfin le tout était assez réussi...

"Vous savez vraiment tout faire !" plaisanta Nuala. "Je suis moins douée que vous, je ne sais faire qu'une chose..."

Et de ses longues mains fines elle saisit une serviette qui, après quelques savants pliages, devint une fleur de lotus. Enfin, une fleur.

"Oui oui, excellente. Je n'ai pas eu de mal à trouver le sommeil !"

*Oh et puis tant pis !*

Nuala ferma les yeux et piocha au hasard dans une corbeille qui contenait de petites pâtisseries. Le goût délicieux du gâteau ne lui laissa aucun remord, mais il y avait maintenant un trou dans la corbeille.

"Ce sont des originaux ?" demanda-t-elle en éparpillant les gâteaux pour qu'ils prennent plus de place. "Croyez-vous qu'ils nous retiendront si c'est un jour de fête ?"

Après avoir fait mine d'insensibilité face aux gâteaux tentateurs, Nuala avait cédé visiblement de bon coeur, ce que le Capitaine apprécia. Non parce que cela le déculpabilisait - il ne se sentait strictement pas coupable -, mais parce que la spontanéité de la jeune femme ne s'effaçait pas derrière des normes, et c'était une qualité qu'il estimait. Un regard un brin moqueur observa toutefois Nuala tandis qu'elle essayait de dissimuler son crime.

Seul, il aurait sans doute été assis et repus depuis longtemps, mais il répugnait un peu à s'installer alors que Mrs Barlow restait sagement debout. Il finit par trouver une solution intermédiaire et s'accouda à l'une des chaises qui, par bonheur, avaient le dossier haut.

Les Chattan, des originaux ? Comment dire... C'était curieux. Owen se sentait mal à l'aise à l'idée de parler à haute voix de ses hôtes. La veille, quand il avait seulement effleuré le bras de Lain, il s'était passé... des phénomènes étranges. Le feu brusquement éteint, par exemple. La lueur dans les yeux d'eau avait eu aussi quelque chose de dément. Et puis cette nuit, cette petite phrase murmurée, ce geste presque compatissant... C'était comme si... comme si Chattan savait, ressentait des choses qu'il n'aurait pas dû soupçonner.

Sauf si... Owen fronça les sourcils. Sauf s'il était lui-même à la source de tout. Elle, celle qu'il avait prise pour une illusion, Edith, Mrs Cocksure, Mrs Rochester ou qui qu'elle fût... Il se souvint de ses suppositions de la veille. Parler à Dinah Windfield.

Un bruit de vaisselle au loin le ramena brutalement à la réalité, même si ses pensées n'avaient duré que quelques instants. La petite servante mettait décidément un temps fou à ramener ce café.

« Nous retenir ? Non, je ne pense pas... Ou peut-être par politesse, mais rien ne nous empêche de décliner gentiment, n'est-ce pas ? »

Son regard était redevenu net. Il se redressa - rester accoudé n'était finalement pas une position très confortable - et eut un sourire.

« Toujours prête à repartir ce matin ? Si vous me le proposez toujours, je serais ravi de faire un bout de route avec vous... »

Il ne s'était pas prononcé la veille et n'y avait pas réfléchi depuis, mais finalement c'était sans doute la meilleure solution. Il lui fallait quitter au plus vite ce manoir, et la présence de la jeune femme le détournerait de ses pensées jusqu'à Aberdeen, ou du moins jusqu'à un point où il ne reviendrait pas en arrière. L'aventure 'Edith' serait classée dans la catégorie 'Etrangetés' de sa vie, avec pêle-mêle les évènements de Loch Lurgainn House, et c'en serait fini.

« Miss Windfield n'est tout de même pas partie pendant la nuit ? » finit-il par demander.

Car s'il s'avérait qu'Edith et Mrs Cocksure ne faisaient qu'une, et que la-dite jeune femme était séquestrée, il lui faudrait tout de même agir en sa faveur avant de partir définitivement.

Moira réapparut en coup de vent, chargée de quelques nouveaux plats qu'elle posa sur les chauffe-plats, d'une théière, d'une cafetière, et d'un pot de lait.
Jonglant avec une adresse paniquée avec tout cela elle réussit à tout installer sur la table sans rien renverser.

"Voilà ! Alors, thé, café, lait... et la sonnette là..."

Elle avait déjà parlé de la sonnette, non ? Non ? Oui ? Avant que Moira n'ait de nouveau le temps de se dire qu'elle avait mal fait, elle entendit, très discrète, la petite sonnerie qui l'appelait dans la chambre de Coleen.

"Oh ! Mademoiselle est levée ! Excusez-moi..."

Elle fit une petite révérence et fila vers l'étage.

[La Chambre de Coleen]

Citation :

HJ : Tu as bien fait Nuala, en Angleterre, on se sert soi-même au petit déjeuner ^_^

"Quelle merveilleuse matinée ! Oh vous êtes déjà là ! Bonjour Nuala, Bonjour Capitaine !"

La voix enjouée qui avait prononcé ces mots avait un accent clairement américain. Ce qui fait que sans doute personne ne fut supris de voir que Dinah était enfin descendue.

"Il y a un soleil radieux, des fleurs superbes ! Et des oiseaux... J'ai ouvert la fenêtre ce matin et je me suis dis "Mais qu'il fait bon d'être ici !" C'est vraiment un paradis !"

Tout en bavardant gaiement, Dinah remplissait avec entrain une assiette avant de s'asseoir et de se servir du jus d'orange.

"Avez-vous bien dormi ? J'ai merveilleusement bien dormi. On dort tellement mieux à la campagne vous ne trouvez pas ? Tout est plus simple, plus calme, sans bruit, sans intrigue…"

Peut-être que Dinah, avait eu l'intention de s'arrêter là pour laisser parler les occupants de la pièce. Peut-être que non. En tout cas, tout ce qu'elle venait de dire lui sortit brusquement de la tête lorsqu'elle aperçut les pliages du capitaine.

"Oh... Mais qu'est-ce que ceci ? Mais c'est tout à fait charmant ! C'était ainsi quand vous êtes arrivés ? J'ai toujours rêvé d'apprendre à faire des pliages avec les serviettes..."

[La Suite Chattan]

Le visage de Lain arborait une expression aimable lorsqu'il pénètra dans la salle à manger, il récupéra ses gants posés sur une petite console et les tint sans les enfiler. Le feu dans la cheminée eut un regain de vie et les buches s'embrasèrent.
Ses hôtes étaient installés et la jeune américaine faisait déjà honneur au déjeuner. Cela était bien.
Un rayon de soleil réchauffait l'atmosphère et il sourit en gagnant sa place au bout de la table. Il s'inclina, puis d'un geste fluide de la main, il enjoignit Nuala et Owen à prendre leur repas.

"Je vous souhaite une agréable journée. Nous n'avons pas l'habitude de suivre un quelconque protocole pour le petit déjeuner, que chacun se sente libre de se servir à sa guise. Moira serait fort désappointée de vous voir hésiter, elle est tellement angoissée à l'idée de ne pas satisfaire son monde, mangez et tranquilisez la."

Il s'assit, ne s'étant servi aucune nourriture et posa sa main fine aux ongles brillants sur la nappe brodée à coté de la paire de gants de chevreau gris.
Un instant, son regard se perdit dans le vide tandis qu'il fixait la porte donnant sur le couloir, puis il revint à ses hôtes.

"Avez-vous passé une agréable nuit ? J'espère que la fraicheur ou l'humidité ne vous auront pas empêchés de trouver le sommeil. C'est l'un des quelques désavantages à vivre sur la lande dans une si grande maison."

Il caressa du doigt la tasse de fine porcelaine posée devant lui.

"Monsieur Anderson ne se joint pas à nous pour le déjeuner ? Jeûne-t-il par conviction ou nous aurait-il quitté de très bonne heure ?"

Une lueur amusée dansa dans son regard trop clair tandis qu'il prononçait ces mots d'une voix douce.

(je propose qu'on oublie le tour de post pour ce sujet, nous sommes à table, la conversation roule, c'est normal.)

La voix enjouée de Dinah Windfield amena un sourire sur le visage d'Owen avant même qu'elle ne pénètre dans son champ de vision. Sa question trouvait sa réponse. Mieux, la jeune Américaine s'était installée sans gêne aucune, ce qui indiqua au Capitaine qu'une fois de plus les convenances lui échappaient. Il échangea un regard amusé avec Nuala, avant de s'asseoir à son tour, ravi de pouvoir se servir à son aise.

« Miss Windfield, bonjour ! »

L'avantage avec Dinah, c'était qu'elle remplissait une conversation à elle toute seule. Owen avait préféré se taire quant au 'paradis' qu'elle louait. Il n'avait pas jugé plus normal de répondre qu'il n'avait pas dormi une minute, et s'était donc décidé à changer le cours de la discussion. Il attrapa la théière pour servir Nuala - « Non, du café, vraiment ? » -, remplit donc leurs deux tasses de café, et demanda négligemment:

« Avez-vous finalement déniché Mrs Cocksure ? Je... »

L'arrivée de Lain Chattan le coupa dans sa phrase. La vue du maître de maison lui rappelait la veille. Il se souvint du regard et des paroles énigmatiques qu'il lui avait adressés, et ses yeux ne le quittèrent pas jusqu'à ce qu'il vînt s'asseoir à leurs côtés. Le Capitaine laissa Dinah et Nuala répondre aux salutations du maître. Si Lain savait quelque chose - et il le savait, c'était clair -, il ne s'étonnerait pas de son silence.

A la question sur Irvine, Owen sentit sa méfiance renaître un peu. La discussion nocturne n'avait pas l'air spécialement aimable, et une certaine ironie teintait les propos de Lain. Où était le prêtre ? Il suggéra prudemment:

« Peut-être dort-il encore ? Son sommeil ne m'avait pas l'air très... reposant. »

Le Capitaine respira un peu trop brusquement peut-être, et finit par se lancer.

« Une bien grande maison, en effet... » reprit-il poliment. « Vous n'êtes que quatre à y habiter l'année ? »

Il allait sans doute éluder la question. Les Chattan semblaient très doués à ce petit jeu.

Dinah avait adressé un regard interrogateur et intéressé au capitaine qui lui demandait gentiment des nouvelles de Mirs Cocksure, immédiatement abandonné pour un sourire radieux destiné au maître de maison, suivit sans interruption par un petit cri d'horreur.

"Oh mon dieu ! Le pauvre homme... Il doit avoir le sommeil bien léger pour mal dormir dans un endroit aussi agréable et aussi calme ! Vraiment votre propriété est un lieu merveilleux Monsieur Chattan !"

Et Owen Barrette avait soulevé un point très intéressant. Seulement quatre ?

"Seulement quatre ? Mais vous ne vous ennuyez jamais ?"

Parce que quatre personnes seulement, c'est comme être seul. Surtout si l'on connaît les gens depuis longtemps. Parce que voir toujours le même visage c'est fatigant à la fin. Il faut varier, n'est-ce pas...

Lain inclina la tête gracieusement et adressa un sourire à Dinah.

"Nous sommes en effet fort chanceux de vivre ici. Mais un tel endroit, préservé, se mérite et l'isolement fait que beaucoup ne supporteraient qu'avec difficulté de rester ici pour toujours. Mais nous, qui tenons ce domaine depuis très longtemps n'envisagerions pas de le quitter."

Le regard pâle se posa sur le visage d'Owen, passant du charme à quelque chose de plus scrutateur, sans hostilité cependant.

"Nous sommes suffisamment croyez-moi, la maison est tout à fait ce qu'il convient à une famille telle que la nôtre. Je vous engage d'ailleurs à visiter les environs, la vue sur le loch depuis le domaine est tout à fait splendide. Je vous mettrai cependant en garde contre la traîtrise de la falaise, ne vous risquez pas trop près du bord."

Gagné. Lain avait fait honneur à la réputation chattanesque qu'Owen s'était forgée et n'avait pas répondu à la question. Pourtant... Pourtant il devait bien savoir, il devait bien sentir, ce qu'Owen demandait !

Le Capitaine reposa dans son assiette la brioche qu'il mangeait, et répondit d'un ton las à l'invitation de promenade de leur hôte.

« Je pars ce matin. Enfin... nous partons, si Madame Barlow veut bien de ma compagnie. »

Sourire peu convaincant à l'adresse de Nuala.

'Une famille telle que la leur'... Qu'avait-elle de particulier ? N'étaient-ils pas que trois ? Qu'eux trois ? Que sous-entendaient ces détournements perfides ? Comment relier l'homme étrange aux propos inquiétants du prêtre, la veille ? Qui était-Elle ? Où était le réel ? Quelle était la vérité ?

« Monsieur Chattan... Je voulais savoir... Le pavillon, le joli pavillon, personne ne l'habite ? Et aussi... je voudrais savoir... La roseraie, depuis quand avez-vous une si belle roseraie ? »

Sa voix grave était maîtrisée. Les questions pouvaient sembler banales, un peu curieuses mais naturelles, si l'on ne croisait pas le regard d'Owen. Et les yeux noirs du Capitaine étaient rivés sur Lain, brûlants, ardents, ils semblaient dire:

*J'ai besoin de savoir, Monsieur Chattan. Qui est cette femme ? Qu'est-ce qui n'est pas enfui ? Qu'est-ce qui persiste ? Que signifient ces signes, ces mystères ? Pourquoi est-ce que je ne comprends pas ?*

[Chambre de Coleen]

Depuis le couloir où Coleen avançait d'un pas calme, des voix se faisaient entendre de la salle à manger. Avant même d'y entrer, elle sut donc qu'elle y trouverait le marin, Lain et bien sûr, miss Windfield dont la voix parlait sans rien dire, comme à son habitude.

Se présentant en silence au seuil de la porte, elle remarqua cependant qu'il y avait également une autre femme qu'elle n'avait pas vu la veille.

*Une de plus...* pensa-t-elle. Ca commençait à faire beaucoup de visiteurs en peu de temps. Mais d'un autre côté, ça ferait peut-être de l'animation.

"Bonjour." annonça poliment la jeune fille attirant ainsi l'attention des personnes qui ne l'avaient peut-être pas vue arriver.

Coleen avait soigné son apparence pour cette journée spéciale. Sa robe, soigneusement choisie par Moira était de couleur claire et fraîche avec de petits motifs de fleurs, contrastant avec sa robe violette de la veille. La dentelle et la taille marquée lui donnaient une allure moins enfantine, renforcée par la coiffure relevée sur la nuque que lui avait faite la jeune servante.

Coleen s'avança et prit place à la table non loin de Lain quel gratifia d'un léger sourire, et face à Owen dont les traits trahissaient un état moins relaxé que la veille. Tendant la main, elle attrapa un petit pain qu'elle posa dans son assiette quand son regard fut attiré par trois serviettes pliées sur la table.

"Qui as fait ça ?" demanda-t-elle doucement d'un ton qui n'était ni de reproche ni de curiosité.

Le regard transparent de Lain se posa sur le visage du capitaine. Rien d'hostile, rien non plus de particulièrement chaleureux, juste un regard calme et emprunt d'une touche de curiosité.

"Vous pensez nous quitter déjà ? Quel dommage que vous ne preniez pas le temps de découvrir plus avant les beautés du domaine. A mieux le connaître on éprouve grand peine à s'en éloigner, savez-vous."

Ses doigts alors qu'il parlait suivaient le dessin brodé de la nappe. Il observa un instant de silence, puis reprit, la voix douce.

"Le pavillon a attiré votre attention ? C'est un très charmant refuse, n'est-ce pas ? Nous ne l'habitons pas, il est offert à ceux de nos parents qui désirent séjourner parmi nous, ce qui est assez rare cependant. Quant à la roseraie, si mes souvenirs sont exacts, le premier plan y a fleuri dans le courant du siècle dernier."

Une foule d'interrogations, clairement lisibles même pour un autre que lui, brulaient dans le regard du marin et l'homme pâle inclina la tête.

"Quant à votre compagnon de chambre, je pense qu'il avait besoin de mettre ses idées au clair et que l'air frais lui aura été bénéfique. L'atmosphère de notre demeure peut quelques fois paraître oppressante aux personnes sensibles. Il y a certains sentiments, voyez-vous, qui impressionnent à jamais les lieux et les esprits. Il suffit d'ouvrir son âme pour qu'ils perdurent. C'est sans doute ce qui rend notre maison particulièrement hospitalière. Il avait insisté doucement sur le mot particulièrement. On y trouve ce que l'on y cherche alors même qu'on l'ignorait. Tout est question de choix. Toujours."

Il releva les yeux pour sourire à Coleen qui venait de prendre place.

"Bonjour Mademoiselle. Vous êtes bien jolie ce matin. Les yeux clairs se plissèrent dans un sourire malicieux. Y aurait-il un quelconque événement qui nous vaille une telle élégance ?"

« Je n'aime guère m'attacher... »

Tout juste un murmure... Owen avait difficilement détaché son regard ardent de Lain, et fixait un motif de la nappe. Il ne perdait pourtant pas une miette des propos de son hôte. Une parente en simple séjour ? Dans le courant du...

« Du siècle dernier ? » répéta-t-il d'une voix étranglée, ses yeux ayant sauté de nouveau sur le visage de Lain.

Il respirait un peu plus vite durant les explications qui suivirent. Encore cette idée de personnes sensibles... Comment le prêtre avait-il dit ? Ah oui. 'Faible psychologiquement'. Il porta la main à son cou et tira un peu sur son col, comme s'il étouffait. 'Particulièrement'... D'une manière particulière. Oui.

Il ferma les yeux un instant en accueillant les derniers mots de Lain. Il avait mal. Il ne savait pas où il avait mal, ni pourquoi il avait mal, mais il avait mal quelque part et pour quelque chose, et c'était suffisant pour souffrir.

Il rouvrit les yeux qui se posèrent sur Coleen. L'enfant paraissait grandie depuis la veille. Sans doute cette coiffure. Quel âge avait-elle en ce jour ? Il ne s'en souvenait plus, s'il l'avait jamais su.

« Moi. » avait-il répondu sans aucune note de fierté, tout aussi neutrement qu'était posée la question. « Je ne suis pas très doué, vous m'excuserez. Pour vous. »

Il fit un effort pour sourire.

« Joyeux anniversaire, jeune fille. »

Dinah avait tenté de suivre l'échange qui se passait devant elle, mais il fallait avouer qu'elle n'y comprenait rien. Bien sûr, elle ne s'en rendait pas compte. C'était juste que les mots entraient par une oreille dans la charmante tête de l'Américaine et ressortaient immédiatement par l'autre.

Les mots de "atmosphère oppressante", "personne sensible", d'"ouvrire son âme" étaient trop éloignés de son petit monde personnel pour qu'elle y comprenne quoique ce soit.

C'est tout juste s'il lui semblait que Lain était un peu elliptique, que le marin avait l'air de ne pas être dans son assiette et que la jeune fille qui venait d'entrer était la même que celle de la veille.

Elle se raccrocha donc avec bonheur au retour à la réalité appréhensible par elle, à savoir les serviettes pliées.

"Aaaah c'était donc vous, Capitaine Bartok ?"

Pour la défense de Miss Windfield dans l'emploi de ce nom assez éloigné de l'état civil d'Owen, nous dirons qu'une nuit était passée entre la présentation du Capitaine et le moment présent, que donc il était déjà tout à fait remarquable qu'elle ait réussi à retenir la première lettre de son nom.

"C'est vraiment charmant ! Délicieux, ne trouvez-vous pas Mademoiselle ? Quel grand cœur vous avez, Capitaine... Joyeux anniversaire Mademoiselle, vous êtes absolument resplendissante dans cette robe très... très... authentique."

Le "authentique" était venu sur un ton un peu gêné, étant donné que cela voulait dire, selon Dinah, que ce genre de robe ne devrait plus être à la mode depuis très longtemps, mais enfin, puisque nous étions en Angleterre...
Dinah se rattrapa par un grand sourire chaleureux.

"Votre Papa a raison d'être très fier de vous."

C'est-à-dire qu'elle avait un vague souvenir qu'il s'agissait d'une situation familiale un peu plus complexe, mais il vaut toujours mieux tenter de revenir à une situation simple et connue. Et puis un tuteur ou quelque chose dans le genre est une sorte de père adoptif, non ?

"Merci Lain." répondit-elle au compliment de son tuteur.

"Effectivement, c'est l'anniversaire de Moira aujourd'hui." ajouta-t-elle en répondant avec la même malice qu'elle avait vu dans les yeux clairs qui la fixaient et qu'elle connaissait presque par coeur.

Ses yeux violets se posèrent lentement sur le marin quand il répondit que les pliages étaient de lui. Elle le fixa quelques instants d'un air fermé et le regard perçant. Il semblait bouleversé par quelque chose qu'elle ignorait. Qu'avait-il donc vu ou appris qui mettre cet homme robuste dans cet état de fébrilité ?

Pour la première fois depuis la veille, cependant, Coleen lui sourit aimablement et avec sincérité.

"Merci Capitaine. C'est très joli. J'aimerais que vous m'appreniez à en faire si vous le voulez bien." lui demanda-t-elle, son regard se faisant plus doux et apaisant.

"Merci Miss Windfield. Je suis d'accord. Le pliage est un art que je ne connais pas encore. Qu'entendez-vous par authentique... Miss Windfield ?"

Fixant la jeune femme, mais ayant perdu le sourire et le regard apaisant qu'elle avait offerts à Owen, Coleen ajouta d'un ton neutre et détaché.

"Lain n'est pas mon père Miss, même si je le considère tout comme."

Le regard violet avait glissé un instant sur le visage pâle et Coleen avait laissé s'échapper un léger sourire.

Lain offrit un sourire charmant à la jeune américaine.

"En effet, Miss Windfield, je ne suis pas le père de Coleen. Je suis son tuteur, j'ai en charge son bien-être et son éducation. Ce qui, je vous l'accorde, est bien proche du rôle d'un parent."

Ce disant, son regard se posa sur le visage de l'enfant.

"Une fois que vous aurez pris votre petit déjeuner, Mademoiselle, nous irons au jardin. Vous n'aurez pas à étudier aujourd'hui puisque c'est votre anniversaire."

Quelque chose se ternit dans les yeux pales tandis qu'il prononçait les derniers mots et ce fut d'une voix basse qu'il demanda.

"Avez-vous croisé Belig ?"

Il fit un mouvement de la tête comme pour chasser une pensée inopportune et se tourna vers Owen.

"Vous sentez-vous bien, Capitaine ? Peut-être appréciriez-vous un peu de repos ? Les déjeuners familieux peuvent être pesants, je le reconnais volontiers. Sentez-vous libre de faire quelques pas au grand air. Un homme de la mer tel que vous doit se sentir bien à l'étroit ici."

Après un silence pendant lequel il étudia le visage de marin, il se tourna à nouveau vers la jeune femme et le sourire revint.

"Miss Windfield, je serais tout à fait honoré de vous faire visiter la propriété si cela vous intéresse."

« Burnett, Miss Windfield, Burnett... » avait-il corrigé machinalement.

Le regard que lui décocha Coleen à cet instant le troubla un peu. Pas autant que le sourire qui l'accompagnait. Que restait-il de l'enfant insolente de la veille ? Owen commençait à être dans un tel état que tout changement lui semblait suspect. Néanmoins il répondit à la jeune fille ce matin charmante, en toute sincérité.

« Je vous montrerai volontiers. » Ses yeux se posèrent sur les serviettes, et reconnurent la fleur de Nuala. Ses pupilles se dilatèrent insensiblement et il désigna ce pliage. « Celui-ci est de Madame Barlow, pardonnez-moi... » rectifia-t-il en présentant d'un geste la jeune femme.

Lain était en train de convier sa pupille, puis son invitée américaine à se rendre au jardin, tout en lui ouvrant une porte de sortie. Le Capitaine lui rendit un regard un peu perdu, mais où l'on pouvait trouver de la reconnaissance. En effet, il se leva presque immédiatement et manqua de trébucher sur sa propre chaise.

« Je vous remercie, Monsieur Chattan, je crois que j'ai besoin de changer d'air, oui. Non que... non que votre compagnie soit pesante, mais... »

Il se redressa, força ses lèvres à former un sourire pour l'ensemble des attablés, et sortit. Pas vers le jardin. La perspective de se retrouver devant la roseraie et le pavillon, puis de rencontrer les hôtes en promenade, le repoussait absolument.
Il décida de remonter les escaliers. Puisque Irvine était sorti, les étages devaient être tranquilles.

[Le Premier Etage - Le Salon des Portraits]

Evidemment, Dinah n'avait pas relevé la correction du Capitaine sur son nom, évidemment, elle avait soigneusement "oublié" de répondre à la question de Coleen. Evidemment, elle n'avait retenu que la dernière phrase de Lain.

"Oh vraiment ? Je serai ravie ! Cela serait merveilleux !"

Elle était même prête à avaler son petit déjeuner en quatrième vitesse pour partir tout de suite à l'exploration de la demeure. Elle avait déjà saisi un petit pain d'une main, son verre de l'autre avant de s'arrêter en constatant qu'elle ne pouvait pas manger et boire en même temps.
C'est là qu'elle réalisa aussi que cela ne se faisait vraiment pas du tout de manger n'importe quand. Elle rougit joyeusement, reposa son verre et son petit pain, s'essuya les doigts, et reprit son petit déjeuner de manière convenable.

Evidemment (encore une fois, tout le comportement de Dinah est d'une évidence surprenante), cela ne dura pas longtemps et très rapidement, elle releva des yeux brillants vers Lain.
C'est que la pensée que l'on était en écosse, et que donc il devait y avoir des fantômes venait de lui traverser l'esprit.

"Dites, Monsieur Chattan, est-ce qu'il n'y aurait pas des fantômes ici ? J'ai toujours rêvé d'en voir un ! Chez moi, il n'y en a pas, évidemment... Mais ici... Il n'y aurait pas un ancien propriétaire mort dans d'étrange condition ? L'âme d'une femme enfermée qui rôde quelque part ?"

Dinah disait cela avec un enthousiasme ravi, fort plaisant à voir. Elle en avait même arrêté de manger pour attendre sa réponse.

Coleen avait de nouveau regardé Lain lorsqu'il expliqua à son tour à Dinah le rôle qu'il jouait dans sa vie. Ainsi, elle croisa son regard lorsqu'il s'adressa de nouveau à elle pour lui certifier qu'elle n'aurait pas à travailler ce jour.

Coleen hocha la tête avec un sourire aimable aussi bien pour remercier son tuteur que pour lui assurer qu'elle avait compris les directives.

"Non, je ne l'ai pas vue ce matin, Lain." lui répondit-elle simplement. Belig ne devait pas être loin, probablement déjà dans le jardin à les attendre.

Découpant du bout des doigts un morceau du petit pain qu'elle avait pris, son regard son posa de nouveau sur Owen alors que Lain faisait remarquer ce qu'elle avait déjà observé en entrant: qu'il ne semblait pas aussi à l'aise que la veille.

Coleen lui offrit de nouveau un sourire accompagné d'un hochement de tête lorsqu'il accepta de lui montrer comment l'on devait plier les serviettes pour leur donner de jolies formes. Mais le regard du capitaine était perdu et dans le vague. Coleen plissa les yeux et reposa le petit pain dans son assiette après en avoir mangé la moitié.

Le capitaine quittait la table et Coleen le suivit du regard jusqu'à ce que Dinah s'exclame de nouveau. Coleen la regarda alors qu'elle tenait un pain d'une main et son verre de l'autre avant de les reposer en rougissant. Cette pauvre femme était vraiment niaise.

Voilà qu'elle abordait le sujet des fantômes désormais. Coleen posa lentement sa serviette et se leva de sa chaise sans bruit, indiquant à Lain qu'elle avait terminé son petit déjeuner et qu'elle allait se rendre au jardin comme convenu.

"Les fantômes viennent la nuit je crois, Miss Windfield. Si vous souhaitez en voir un, il ne faut pas dormir..."

Elle lui lança un léger sourire qui était plus amusé qu'autre chose et hocha la tête en direction de Lain avant de sortir de la pièce.

[Le Jardin]

Nuala n'avait pas ouvert la bouche de tout le petit-déjeuner, après l'arrivée des occupants de la maison, si ce n'était pour saluer son hôte et se présenter. Un homme un peu étrange, comme le lui avait bien signalé Owen quelques instants auparavant. Lain Chattan n'avait pas semblé étonné de cette nouvelle arrivée, mais peut-être commençait-il à s'y habituer, car Nuala avait pu constater qu'elle n'était pas la seule invitée inattendue de la maison. Il lui semblait pourtant singulier qu'un manoir aussi loin de tout ait pu donner l'asile à tous ces voyageurs. Le hasard, certainement, offrait à la jeune Coleen de bien étranges présents pour son anniversaire.

La jeune fille n'avait effectivement pas l'air plus extravertie que son tuteur, mais le sourire qu'elle adressa à Owen contredisait la description que ce dernier lui avait faite. La jeune pupille de Lain Chattant ne devait pas avoir mauvais fond. Elle semblait très mûre pour son âge, et son air grave la faisait paraître encore plus âgée. Mais sa réserve apparente ne l'empêchait pas de lancer des piques.

"Les fantômes viennent la nuit je crois, Miss Windfield. Si vous souhaitez en voir un, il ne faut pas dormir..."

Nuala réprima un sourire. L'insolence perçait sous la politesse, et bien que la jeune femme en appréciât l'humour, elle réprouvait silencieusement l'impertinence de Coleen. Elle la suivit des yeux tandis qu'elle quittait la pièce.

"J'aimerais me joindre à vous, si vous me le permettez M. Chattan, dit Nuala, en resaisissant le fil de la conversation. Je ne suis arrivée qu'à la tombée de la nuit, la lumière manquait pour admirer votre demeure."

Lain fronça les sourcils à la réponse apportée par Coleen à la jeune américaine. Il lui permit de quitter la table d'un battement de paupière puis se tourna vers ses hôtesses.

"J'espère que vous pardonnerez les manières un peu cavalières de l'enfant. Nous recevons peu et elle n'a pas l'occasion de cotoyer souvent des personnes de la bonne socièté. Mais je gage que votre présence saura lui être bénéfique. Avoir un exemple extérieur est toujours bon pour les jeunes enfants, cela apporte un regard qui n'est pas adouçi par l'affection. Pour vous rassurer, je dirais qu'il n'y a pas plus de fantômes ici qu'ailleurs, ce sont souvent les vivants qu'il faut craindre.. N'est-ce pas ?"

Il sourit aux deux jeunes femmes et voyant que leur repas était terminé, se leva lentement.

"Mesdames, si vous le voulez, nous allons rejoindre Coleen qui doit trépigner d'impatience en attendant le cadeau d'anniversaire qui lui est réservé. Vous pourrez trouver des chapeaux de soleil et des ombrelles qui ont été préparés à votre intention sur une desserte du hall"

Un autre sourire et ayant enfilé ses gants, il indiqua d'un geste la direction à suivre.

[Jardin]

Un peu déconcertée par la réponse sibylline de leur hôte, Nuala acheva de rassembler distraitement les miettes de gâteau sur la nappe blanche en un petit monticule près de son verre.

Qu'on ait déjà préparé ombrelles et chapeaux à leur intention alors qu'elles venaient à peine d'exprimer le souhait de visiter la propriété l'étonna, mais elle oublia bien vite sa surprise, déjà habituée à l'atmosphère d'étrangeté des lieux.

La jeune femme se leva, traversa le hall pour attraper chapeau et ombrelle, puis suivit Lain Chattan dans le jardin.

[Jardin]