Dr et Mrs Archer - Arrivée

Maverick, menant la marche, marchant lentement, et jetant réguliérement un coup d'oeil amusé à sa compagne, avait commencé la traversée. Enthousiasmé par le paysage agréable, quoiqu'un peu brumeux, il se faisait déjà toute une joie à l'idée de la découverte de ce Manoir dont il apercevait déjà la forme au loin.
Oui, ce batiment s'annonçait beau, et sa visite risquait d'être intéressante. Ne laissant pas paraitre grand chose de son fretillement intérieur, le jeune Docteur lança à son épouse :

"Allons, dépêchons nous. Cette demeure m'a l'air bien grande, et nous devons être rentrés pour le repas."
Bien sur, il fallait être rentré pour le repas. Pour rien au monde il n'en raterait un. Le roti qu'on leur avait servi la veille en valait mille autres. Non, il ne raterait pas le repas, ça c'était certain.
Il tendit une main à l'adresse de la jeune femme, et l'invita à accélerer.
"Admirez donc la vue, venez."
Le poids de son corps faisait résonner chaque planche en un grincement sinistre à chacun de ses pas, mais le médecin ne s'en souciait pas vraiment, et n'était, pour le coup, pas vraiment précautionneux. Emporté par l'idée d'aller visiter ce lieu, il en avait oublié la prudence élémentaire. Etrange pourtant, lui qui d'habitude prenait tant de gants avec toute chose, et encore plus lorsqu'il s'agissait de pont en bois à l'allure fragile.
Mais voilà, il ne savait pourquoi, il sentait le besoin d'aller voir ce Manoir. Ca lui avait pris dès qu'il l'avait aperçu au loin. Une envie dévorante de s'en approcher et de le visiter. L'intime conviction qu'il y ferait une découverte fabuleuse. Qu'il y verrait des choses merveilleuses. Qu'il y exaucerait nombre de ses rêves. Que, là bas, il serait débarassé de ses obligations. Déjà il sentait la pression s'effacer et disparaitre. Il ne pensait plus à tous ces soldats mourants et éventrés, qui attendaient son scalpel et ses ficelles. Il ne pensait plus à son père, qui attendait tant de choses de lui, ni à sa mère passive.
Il fallait qu'il y aille. Il le fallait. Il en mourrait d'envie. Et sa femme était décidément trop lente pour le moment. Bon sang, ça commençait même à l'enerver. Pourquoi ne se dépéchait elle pas cette fois ci, elle, qui habituellement menait toujours la marche? Il fallait, cette fois ci précisément, qu'elle traine les pieds? Cette fois ci, précisément, bien entendu. Seigneur Dieu...

"Allez! Venez donc! J'ai... Hate. Je... Hum... Allez, venez, vous ne voudriez pas que les fantomes et autres monstres festoient sans nous?"
Il avait réussi à reprendre le controle sur ses nerfs au dernier moment, et était redevenu lui même. Il avait même fait preuve d'humour, alors que la seconde d'avant, il se tenait, crispé, face à la jeune femme, près à lui hurler dessus, voire même pire que ça. Il ne voulait pas y penser. Il ne voulait pas savoir ce qui avait provoqué ce moment d'égarement. Il était d'ailleurs en train de l'oublier.
Il ne s'en souvenait même plus. Une vague impression fugitive, voilà ce qui restait. Le vague sentiment de s'être emporté il y a quelques temps, comme s'il s'était replongé dans un mauvais souvenir.

Mais allons, il chassa ce tracas d'un geste de la main. Il était là pour apprécier cette promenade, la compagnie de sa femme, et le paysage. Pas question de s'encombrer avec de tels souvenirs inutiles et, en l'occurrence, énervants.
Souriant maintenant innocemment, et même avec sincérité, le jeune homme ouvrit grand les bras, attendant que Liz vienne s'y loger.

Une fois de plus Maverick l'avait dépassée. Il y avait une vigueur dans son pas que Liz avait du mal à calquer, peut être aussi parce qu'elle en usait toujours ainsi : chaque pas en avant était perçu comme une fuite, donc elle hésitait. Tiraillée entre le désir de se montrer forte et celui de s'abandonner à ses mélancoliques inclinaison, Elizabeth attrapa la main qu'on lui tendait et referma les doigts dessus non sans éprouver un certain malaise face à la mine énergique du médecin. Une planche, puis deux, craquèrent. Ce bruit sinistre eut raison de toute logique et Elizabeth poussa un soupir effrayé. Sa gorge se serra. Pourquoi avait-elle eut la folie de se prétendre plus forte qu'elle ne l'était ? Bien sûr qu'elle était superstitieuse et peureuse ! Loin d'elle à présent toute envie de traverser ce pont de malheur et de prouver à son époux qu'elle était autre femme qu'une froussarde ! Mais voilà déjà que Maverick s'impatientait et qu'il s'était mis en tête d'admirer le paysage. La gorge nouée Elizabeth vint se blottir dans ses bras et murmura de sa petite voix qu'elle savait si prompte à la satisfaire :

" Oh Darling, vous avez raison, il se fait tard, peut-être ferions-nous mieux de rentrer et nous reviendrons ici un autre jour !" (elle se garda d'ajouter "ou pas")

Son regard embrassa le paysage travers l'un des percements de la charpente. Le soleil se reflétait sur les flots de la paisible rivière. Il faisait si beau, c’était absurde de rester ainsi caché sous l’ombre froide d’un sinistre pont couvert. Et puis là-bas au loin il y avait cette maison sur laquelle s’ouvrait le pont. Cette ruine sinistre qui ne présageait rien de bon…
La voix de son époux la tira un instant de sa torpeur, elle sursauta face à ce ton impérieux. Liz fronça les sourcils en portant ses grands yeux d’encre grise au visage de son époux qui lui parut dans le contre-jour terriblement grimaçant. Il s’en fallut de peu pour qu’elle ne lâche pas sa main et reparte en arrière, piquée au vif! Elizabeth détestait qu’on la presse, l’impulsion subie lui avait toujours été insupportable.

Mais quelque chose dans le ton de son époux l’avait également effrayée. Bien que la lumière à la sortie de ce tunnel de bois lui empêche de s’habituer à l’obscurité environnante, elle perçut quelque changement sur la figure de son époux qu’elle scrutait avec inquiétude. Comme si cette espèce de tension qu’elle avait ressentie un moment auparavant s’était évaporée. Rassérénée par la boutade de Maverick Elizabeth consentit à sourire à nouveau et obéit au geste qui l’invitait à venir se blottir dans ses bras :

" Les monstres peuvent bien festoyer Maverick, il n’y a rien qui puisse me faire plus peur que la perspective de vous perdre… "

Venait-elle vraiment de dire ces mots ? Ils s’étaient échappés d’elle si vite qu’elle en fut presque surprise. Au-delà de la pure déclaration d’un amour sincère elle le rappelait à l’ordre. Il était son roc, si jamais il ployait sous le poids de quelconque passion, elle n’était pas sûre de jamais pouvoir garder la tête sortie de l’eau. Elle logea comme à son habitude sa tête dans le creux de son cou et ferma les yeux un instant. Elizabeth murmura alors :

"... Je vous aime ! "

Son cœur battit très vite, il n’était pas rare qu’elle manifeste ainsi à des instants impromptus son amour pour son cher Maverick, mais ces mots-là elle ne les prononçait que trop rarement, préférant la beauté des non dits et les regards qui en disent plus long que n’importe quelle promesse.

" Si vous m’aimez aussi, alors promettez-moi de ne pas lâcher ma main lorsque nous entrerons dans cette maison de malheur ! "

Maverick ne pouvait pas voir le sourire mutin qui était apparu sur le visage aux traits fins de la jeune femme. Il voulait entrer dans cette maison ? Soit, elle l'accompagnerait ! Ne lui avait-elle pas juré fidélité pour le pire ? A son tour de lui rappeler qu'il y avait certains devoirs à ne pas négliger lorsqu'on était le mari d'Elizabeth Redgrave.

Alors que le jeune couple avançait sous l'abri du pont couvert, la brise légère forcit et un tourbillon se créa qui entraina feuilles et brindilles dans un minuscule maëlstrom dansant devant ses pas.
Le ciel etait toujours limpide et les cîmes à peine balancées contredisaient l'impression de tempête prête à se former.

Dans l'atmosphère soudain fraîchie, il sembla qu'un murmure de plusieurs voix contradictoires se répercutait sous la structure de bois.

"Venez, venez vite.. n'approchez pas.. venez.. il ne faut pas.."

"Hé hé ha ha!"

Maverick laissa s'échapper un petit rire moqueur, tandis qu'il continuait à serrer son épouse dans les bras, et à contempler le décor au loin. Sublime, attirant manoir. Et maintenant, maintenant que le vent soufflait encore plus fort et commençait à faire tourbilloner les feuilles, le jeune docteur était presque sur d'entendre une voix dans son crane qui n'était pas la sienne. Non, ce n'était en fait pas vraiment ça. C'était plutot que sa voix intérieure et cette voix étrangère se mélaient. Et elles s'accordaient. Elles s'accordaient pour dire qu'il fallait presser le pas, et se ruer vers ce mystérieux manoir. Et s'accordaient aussi pour chasser une troisième voix. Voix puante. Dissonante. Fausse. Hypocrite. Voix qui incitait le couple à quitter les lieux.

Non. Maverick s'était bien vite concentré, comme hypnotisé. Il n'entendait plus qu'une seule voix, et ce n'était pas la sienne. Pas une voix de femme, ou une voix d'homme. Quelque chose qui dépassait tout cela. Quelque chose de magique, qui lui avait vidé le cerveau, le laissant là, empli uniquement par cet ordre simple "Venez, venez vite, venez...".
Le docteur raffermit son étreinte, et, parallèlement, libéra sa main gauche, qui alla directement cueillir la main droite de Liz, main qu'il serra fermement.

"Oui... Et bien... Allons y donc. Il.. commence à faire froid. Il commence à faire froid. Allons y. Le Manoir n'est pas loin."
Sa voix lui paraissait lointaine, et il eut même un instant l'impression que ce n'était pas lui qui parlait. Cependant, petit à petit, il récupérait le controle sur son corps et son esprit. Oubliant bien vite cet instant d'égarement, mais dans l'impossibilité de se débarasser de cette envie dévorante d'aller de l'avant, d'aller découvrir ce lieu inconnu. Lieu qui semblait si attirant, Seigneur, si attirant. La promesse d'une vie meilleure. Plus calme. Sans remous. Ni pression. Rien. Rien que ce qu'il voudrait. Plus aucune contrainte là dedans. Il le sentait. Il en avait l'intime conviction. Les voix le lui avait elle dit?
Peu importait.

Il se recula d'un pas, et étudia le visage de sa compagne, impassible pendant quelques secondes, avant de se remettre à sourire, l'air de dire "oublions donc tout ça". Tenant toujours la main, il commença à marcher, frissonant.

"Il commence vraiment à faire froid."
C'était un peu faux, mais il n'avait rien trouvé d'autre à dire pour justifier ce tremblottement stupide. Il ne pouvait se l'expliquer lui même, et ne pouvait laisser à Liz l'opportunité de croire qu'il avait peur. C'aurait été scandaleux, vraiment, non.
"Depechons nous, j'ai bien l'impression qu'il y a finalement de l'orage dans l'air."
Certes, c'était perceptible. Et pourtant, pas de nuages à l'horizon.
"J'ai envie de visiter cette batisse, oui, mais pas envie de me perdre sur le chemin du retour à cause de l'obscurité. Et s'il venait à pleuvoir, alors cette perspective serait d'un coup encore plus haïssable. N'est ce pas?
Allons, avançons."
De nouveau, il tira un coup sur la main de son épouse. Il était maintenant plus que pressant. Bien plus qu'à l'accoutumée. Non, ça ne lui ressemblait pas vraiment, ce genre de frénésie. Mais que voulez vous. Peut être avait il toujours été un grand amateur d'architecture écossaise. Sans doute. Surement une passion cachée.

Un murmure dans le vent froid qui faisait voler ses jupons et claquer son châle. Un murmure pareil à une voix humaine. Une voix qui n'était pas dans sa tête. Non, la sienne ne ressemblait pas à ça... D'abord les invitations légères, presques rieuses, pressantes aussi... Et puis l'échos plus grave, et tranchant, qui avertissait. Ne pas approcher ! Liz ne se contint pas davantage, elle poussa un petit cri de souris apeurée et se figea sur place:

"Mon dieu, Maverick, vous ne croyez tout de même pas..."

Pas question qu'elle ne fasse le moindre pas ! Son époux tirait sur sa main gauche. Son bras était tendu, comme le reste de son corps livré à une véritable crise de tremblements. Le teint pâle était devenu maladif, cette fois le coeur était descendu des yeux aux lèvres. Toute trace de raison avait quitté l'esprit terrifié d'Elizabeth qui sentit peu à peu ses frissons gagner jusqu'à son échine, glacée. Elle s'électrifia, comme sous le coup d'une massue :

"Je n'ai pas froid !Je veux rentrer ! Darling, partons d'ici immédiatement ! Cela ne m'amuse plus !"

Pourquoi est-ce qu'il continuait de tirer comme ça alors que manifestement la jeune femme lui ordonnait le contraire ? Ca n'allait pas se passe comme ça ! Est-ce qu'il la croyait suffisament idiote pour courir dans ses pas alors qu'une voix sortie d'outre tombe, sans doute celle d'un fantôme, leur ordonnait de ne pas faire un pas de plus ? Elle ferma les yeux, en proie à une véritable montée d'angoisse intérieure. Un fantôme ? Pourquoi cette désagréable sensation de déjà-vu persistante ? Elizabeth prit une grande inspiration :

"Maverick, je veux... PARTIR !"

Elle rugit, toute once de sang froid avait quitté son esprit malade. Il la tirait ? Très bien, il en subirait les conséquences ! Têtue, une lueur de défit dans son regard noir, Elizabeth tira un grand coup et sa main moite glissa de la poigne de fer de Maverick. Lui aussi lui faisait peur...

Partir. Au plus vite ! La jeune femme recula d'abord d'un pas mal assuré, puis tout à coup elle s'emporta et tourna bride, le vent fit voler ses mèches folles devant ses grands yeux paniqués. Durant un instant elle ne vit plus rien. Il fallait fuir ! Dans un élan d'effroi elle s'élança de l'autre côté du pont, mais son talon accrocha le pan lamentable de son châle et la pauvresse tomba sur le sol. Le sort se jouait de la petite fille qui s'était réveillée. Trop sonnée par le choc Elizabeth resta pas terre, sur le sol poussiéreux. Les yeux rivés en direction de la sortie de ce maudit tunnel suspendu. Une larme, puis deux, vinrent couler sur ses joues, dans un sanglot dément elle implora :

"Oh, Darling, pourquoi êtes-vous si méchant avec moi ?"

Une enfant.
Elle était à nouveau la Liz qui réclamait tout et l'obtenait.
Un caprice pour oublier la terreur.
Placer une émotion sur une autre.
Surtout, ne pas pas baisser les armes jusqu'à obtenir satisfaction...

Les voix s'étaient tues et seul subsistait le souffle de la brise qui s'emportait comme une colère couvée prête à exploser.

La poussière s'élevait à présent en tourbillons plus violents, et quelques feuilles et brindilles s'emmèlèrent aux boucles brunes d'Elizabeth.

Une petite branche d'épineux, enlevée par l'étrange phénomène qui ne semblait toucher que l'abri couvert, vint frapper le visage de Maverick, y traçant une égratignure sanglante.

Le vent, dont la violence s'emplifiait de minute en minute poussait le couple vers la sortie, retroussant les jupons de la jeune femme, la forçant à se mettre debout, pesant sur la valise de l'homme, les empêchant par sa violence de faire demi-tour.

Cependant, la traitresse des tourbillons les éloignaient l'un de l'autre sans qu'il leur soit possible de se rejoindre.

"Voyons Liz!"

Bon sang, elle était parti en courant. Maverick avait soudain la sale impression d'avoir bien mal agi. Quelques petits remords commençaient à lui retourner le bas des entrailles. Il commençait à se dire qu'ils n'auraient peut être pas du s'approcher de cet endroit finalement, parce que tout cela, surtout cette petite dispute, Liz le lui ferait payer, et ça ennuyait le pauvre docteur. Pas à moitié.
Il soupira et se passa une main sur le front. Vlan! Voilà que son épouse se retrouvait au sol la tête la première. Ca valait bien un autre soupir, et un autre passage de main sur le front. Le docteur fit un pas, deux pas, trois pas...

"Bon sang Liz, je ne suis pas "méchant" ou quoi que se soit... Seigneur... Je ne vais pas vous forcer, ne vous mettez pas dans ses états. Si vous tenez tellement à faire demi-tour, alors soit, fai....faisons demi-tour."
Pendant une fraction de secondes, il avait failli dire "faites demi-tour", mais prononcer ces mots, et aller visiter la batisse sans l'aval de sa femme, cela signifiait des jours et des jours de bouderie et de reproches. Perspective peu engageante, surtout lors d'un anniversaire de mariage, qui avait finalement poussé Maverick à céder. Bien entendu, à contrecoeur.

Il transfera sa malette dans sa main gauche et tendit sa main droite à la jeune femme, l'incitant à se relever. Il entrouvrit la bouche pour continuer à causer mais ne put articuler qu'avec difficulté. En effet, le vent commençait à souffler fort, forçant d'ailleurs le jeune homme à hausser le ton.
"Allez, relever vous, nous partons, puisque vous y tenez tant."
Bien sur, on pouvait sentir une petite pointe d'amertume dans sa voix, puisque, mine de rien, la demoiselle venait de le priver d'une visite qui s'annonçait intéressante. Et, en vérité, c'était plus l'absence de véritable raison motivant cette fuite que l'impossibilité de visiter la demeure qui fachait Maverick. Ces actes impulsifs et irraisonnés, qui, de temps à autres, prenaient son épouse aux tripes et la poussaient à agir n'importe comment étaient pour le médecin un mystère des plus enervants.
Il entrouvrit la bouche pour ajouter quelques mots, mais, en même temps que le vent, un bon paquet de poussière s'engouffra dans sa gorge, recouvrant pendant quelques instants sa langue et son palais. Sensation des plus désagréables qui fit tousser notre bon homme, et lui fit même pousser quelques jurons. Et maintenant, les rafales le repoussaient en arrière, le forçant à reculer, et le tout, en fermant la bouche et les yeux, histoire d'éviter toutes les petites saletés propulsées par les vents. Mais tout de même, on a à faire à un galant homme.

"Liz, hé..."
Il plissa les yeux, et rabbatit un bras devant son visage, tentant de se protéger tant bien que mal. Il fit un pas de plus vers elle, et lui tendit de nouveau la main, mais voilà, c'est le drame. Schlack! Ca pique. Ca s'enfonce. Ca brule même un peu.
"Rah, nom de Dieu!"
Blasphème? Dans la bouche de Maverick Archer. Seigneur. Il doit vraiment avoir mal. En même temps, on peut le comprendre. La petite branche qui venait de lui cogner la joue avait eu la bonne idée d'être recouverte d'épines. Et les épines en question avaient eu la bonne idée de s'enfoncer dans la chair et de s'y accrocher bien comme il faut.
Entourant le morceau de bois à l'aide de deux de ses doigts, lachant sa malette par reflexe, le docteur commença à retirer le morceau de bois, en grimaçant et en émettant une série de petits "ha... ha... ha...". En arrachant quelques autres petits morceaux de joue, il réussit bien vite à retirer l'intrus. Et pendant ce temps, les bourrasques continuaient à pousser le médecin en arrière, le menant contre son gré vers la sortie du pont couvert, et le forçant à abandonner ici sa valise-cadeau.
Couvrant sa nouvelle plaie à l'aide de la paume de sa main, grognant quelques jurons, jettant de brefs regards de droite et de gauche, cherchant un abri du vent, le médecin continua sa marche, pensant que sa femme marchait sur ses pas.

[Le Jardin - La Grande Allée]

Tout de même, c’était un début ! Maverick avait eu la courtoisie de marcher jusqu’à elle et de la relever. Le minimum syndical de la part de l’époux d’une capricieuse. Et puis Elizabeth reconnaissait là sa pleine victoire sur les nerfs de son époux, qui déjà cédait à sa tentative de résistance à l’invective pression. Une moue enfantine chassa tout tracas de son visage, un sourire étira ses lèvres, et la commissure de ses lèvres vint cueillir les larmes qui roulaient sur ses joues.

Le vent forcissait, gonflant ses jupons et la poussant vers le haut, il fallait se presser ! Elizabeth savait de source sûre, à savoir de Père, que la météorologie écossaise n’était pas clémente en matière de tempête… Quand elle fut debout, la jeune femme voulu adresser quelque ultime reproche à son époux mais la brise se mua en une bourrasque agressive. Un nuage de poussière aveugla un moment Elizabeth qui couvrit son visage d’une main mal assurée.

« Maverick, qu’est-ce que… ? »

Le hurlement du zéphyr couvrit son interrogation apeurée. Feuillages et ramilles volaient de toute part, cela soufflait si fort que quelques brindilles vinrent se loger dans son chignon éprouvé par la soudaine tempête. Elizabeth lâcha la main de son époux et tenta de rabattre son châle autour de son visage afin de se protéger des projectiles végétaux.

C’était étrange cette sensation que tout à coup la Nature se dressait contre ses propres désirs… Effrayée, elle tâtonna devant elle dans l’espoir vain de trouver la main de Maverick, ou au moins son épaule, ou même son dos. Mais il lui semblait qu’à mesure qu’elle fendait l’air avec son bras, les yeux plissés de ne point y voir, elle était poussée par le vent en direction de la sortie. En direction du manoir en ruine… En direction de son cauchemar…

Personne ne put alors entendre le rugissement de terreur qui s’échappa de son corps effrayé. Le bras invisible du vent l’avait poussée au bout du pont couvert. Dans l’aveuglement le plus complet, Liz cria aussi fort qu’elle le put le nom de son époux. Et d’autres choses encore. Hélas, le hurlement de la tempête couvrait jusqu'à la plus aigue de ses plaintes…

Voilà, le pont couvert était passé. Dans la confusion la plus totale, la peur au ventre, Elizabeth s’élança comme un cheval fou en quête d’un abris, mais surtout à la recherche des bras aimés…[La rivière]