1853 Quand Loch Lurgainn House revint aux Chattan par les Chattan-Warington, la maison avait été considérablement modifiée par les précédents propriétaires.
Elle avait gagné en élégance et le parc avait reçu de nombreux aménagements, dont un ravissant kiosque à musique.
Dès qu'ils virent la maison, le lac et les alentours, Jane et Howard Chattan-Warington surent qu'ils avaient trouvé l'endroit qu'ils cherchaient.
La récente naissance d'une petite fille prénommée Coleen avait affaibli Jane Chattan-Warington et les médecins lui avaient fortement conseillé l'air vivifiant des Highlands, au moins pour un temps.
Originaires de Glasgow dans les Lowlands, tout dans la nature sauvage de l'endroit les étonnait et ils s'adonnaient à de longues promenades dans la lande, au rythme lent du pas de la jeune femme.
La maison leur apportait un sentiment de quiétude qu'ils n'avaient ressentie nulle part ailleurs.
Quelques mois après leur installation et bien qu'ils fassent leur possible pour l'éviter, Jane et Howard se résolurent à accueillir un nouvel enfant au sein de la famille.
Cependant, alors qu'Howard craignait pour la santé de sa jeune épouse, elle sembla au contraire s'épanouir durant cette seconde grossesse.
Elle imaginait mille jeux, rondes et comptines pour distraire la petite Coleen.
Elle entreprit de décorer la maison à son goût et fit planter une roseraie dans une partie du jardin encombrée de vieilles pierres et de friches qu'elle fit déblayer.
Elle s'enthousiasmait, chantait et riait toute seule en imaginant de quoi tout cela aurait l'air une fois terminé.
Bien qu'il s'inquiéta pour sa santé en la voyant déployer une telle énergie, Howard la laissa faire.
Alors que le terme de sa grossesse approchait, la jeune femme se lança dans l'agencement en jardin d'hiver d'une petite véranda nouvellement aménagée sur la facade sud de la maison.
Elle faisait de grands gestes en réfléchissant à haute voix, parlant sans cesse à l'enfant dans son ventre et son époux s'alarma de la voir tellement agitée.
Pour la première fois, de sa vie peut-être, elle entra dans une colère folle quand il lui demanda de remettre ses travaux d'embellissement à plus tard.
Elle tint des propos qui lui semblèrent incohérents sur la nécéssité de faire au mieux et au plus vite et le repoussa violemment quand il tenta de l'entrainer hors de la véranda.
Dès lors, les rapports entre les époux se dégradèrent et Jane ne se laissa plus approcher.
Il semblait que son caractère ait changé du tout au tout alors que son ventre s'arrondissait.
De la timide jeune femme qui était entrée heureuse dans la maison, il ne restait rien.
Elle passait de la joie la plus exhubérante à la colère la plus hystérique sans que rien ne le laisse prévoir.
La mère attentionnée qu'elle était depuis la naissance de Coleen, devint indifférente, ne s'intéressant plus qu'à l'enfant à venir, allant jusqu'à refuser de voir la petite.
Ne comprenant pas ce changement d'attitude et supportant difficilement l'éloignement que lui imposait la jeune femme, Howard se résolut à demander l'avis des médecins.
Ils parvinrent à la conclusion d'une hystérie passagère provoquée par l'imminence de ses couches et préscrivirent du repos encore et toujours plus de repos.
Pendant quelques jours on lui fit tenir la chambre, et elle sembla aller mieux.
Puis un matin, alors que rien ne le laissait prévoir, elle entra dans une colére terrible et lança contre le mur la théière qu'on venait de lui apporter.
Quand son époux alerté par une petite bonne effrayée, pénêtra dans la chambre, elle se jeta sur lui pour le battre.
Surpris, il recula et elle s'enfuit, sortit de la maison et courut sur la lande.
Il la rattrapa au bord de la falaise qui dominait le lac et la saisissant voulut la calmer par de tendres paroles.
Elle tenta de le repousser en hurlant qu'il cherchait à blesser ses petits.
Les larmes aux yeux en constatant l'état de folie de sa femme, Howard tenta de la maitriser.
La fine mule de tapisserie de Jane glissa sur la pierre et elle entraina son mari dans sa chute.
Le vent s'engouffra sous le châle de dentelle qui claqua comme une aile avant de se déployer sur les rochers.