Le Jardin d'Hiver

[Chambre d'Owen]

Lain pénêtra d'un long pas calme dans le jardin d'hiver.
Il aimait particulierement cet endroit qui reliait la maison à l'extérieur sans rééllement faire partie ni de l'une ni de l'autre et y venait chaque jour.
Une petite table était là et il s'assit, repoussant avec délicatesse le vase ou s'épanouissaient quelques pivoines pâles. Un pétale à peine rosé se détacha d'une corolle et tomba dans sa main.
Du bout des doigts, il caressa la tendre et douce chair comme on l'eut fait d'une joue d'enfant.
Son regard s'éclaircit à l'extrème et se perdit dans le paysage ensoleillé qui s'étalait sous ses yeux.
Une partie de son esprit à l'écoute du domaine, l'autre à l'écoute de ses visiteurs, il se laissa submerger un court instant par les sons et les images qui lui parvenaient de toutes parts.
Enfin après un long moment, l'homme respira pronfondément et se reprit.
Il se saisit d'un encrier, d'une plume et d'un lourd livre semblable aux livres de bord des navires qui se trouvait derriere le vase aux pivoines qu'il ouvrit.
Une écriture noire, régulière et élégante couvrait les pages qu'il feuilleta, relisant quelques lignes ici, accrochant quelques mots là.

Citation :

l'enfant semble tellement solitaire.. le dernier visiteur.. refuse de comprendre.. Emily..

Il soupira et leva le couvercle d'argent qui fermait un encrier de cristal. Il y trempa une plume et la laissa courir sur la page vierge.

[Cuisine]

Sans lâcher la main de Logan, Coleen l'avait mené jusqu'au Jardin d'Hiver sans dire un mot. Elle savait que Lain s'y installait souvent dans l'après-midi pour y chercher le calme au milieu des fleurs et des plantes. Coleen n'avait pas d'affection particulière pour cette pièce. Elle avait appris qu'elle avait été aménagée par sa mère...

Arrivés dans la pièce, Coleen lâcha lentement la main de l'homme et avança d'un pas calme et silencieux vers Lain qui était en train d'écrire. S'arrêtant près de la table, elle se pencha légèrement et cueillit avec délicatesse une pivoine qu'elle accrocha avec habileté dans sa coiffure... comme le faisait souvent Belig. Les habitudes vestimentaires de sa tutrice n'étaient peut-être pas au goût de cette femme dans la cuisine, mais elles étaient un modèle pour Coleen qui aimait les reproduire autant que Lain le lui permettait.

[Cuisine]

N'osant briser le silence presque cérémonial que la jeune fille respectait comme si seul comptait le contact de sa petite main dans celle de l'adulte qu'il était, Logan se laissa entraîner jusqu'à une superbe serre aménagée en bordure de la maison.
Il remarqua la silhouette penchée dont la main agitait une plume blanche qui crissait légèrement sur la feuille de papier qu'elle s'efforçait de noircir. Cependant, l'attention de Logan fut complètement captivée par la beauté du lieu. Son regard se portait de plante en plante, de fleur en fleur. Un regard de connaisseur qui tentait de reconnaître les différentes espèces de plantes qui poussaient dans les pots disposés autour de la pièce et qui en estimait leur état de santé et leur vigueur.

Soudainement, comme elle était arrivée, la petite main cessa sa pression sur la sienne, se libérant (ou le libérant) de son emprise. La jeune fille prenait son envol, abandonnant le rocher qu'il était, flottant doucement sur le sol et s'approchant de l'écrivain ou plutôt du bouquet afin d'attraper une fleur délicatement rosée qu'elle glissa dans ses cheveux sombres.

*Paeonia Lactiflora...*

Logan avait pensé ce nom comme on prononce une formule magique. De sa grand-mère, il avait appris à nommer les plantes et les fleurs. Il savait les nommer et, de ce fait, se sentait moins seul en leur présence, un peu comme si c'étaient d'anciennes connaissances. Ici, il avait l'impression d'être en terrain connu, d'être environné d'amies et ce sentiment de confiance qui grandissait lentement en lui, lui laissa échapper quelques mots qui troublèrent le silence et le firent rougir, à peines prononcés, comme s'il regrettait d'avoir fait entendre sa voix :

"Vos pivoines sont... magnifiques !"

Lain reposa calmement sa plume et referma le couvercle de l'encrier. Il continuerait ceci plus tard, le temps ne comptait pas même s'il semblait s'etre précipité depuis le matin.
Il prit le temps d'appliquer un tampon buvard sur la page avant de refermer le lourd volume.
La main de Coleen passa dans son champ de vision, cueillant une pivoine dans le vase devant lui.
Il sourit de cette façon qu'avait l'enfant d'imiter Belig en toutes choses, des plus raisonnables aux plus fantasques.
Oui, employer un précepteur était une bonne chose. Il lui montrerait une façon nouvelle de se comporter sans que l'affection prenne le pas sur l'autorité.

L'homme pâle cilla lorsque la voix de Logan s'éleva sous la verrière. Lentement, il se tourna sur sa chaise pour lui faire face.
Le regard translucide parcourut la silhouette massive, relevant la mise modeste et les grandes mains forgées par le travail.

"Vous semblez connaître et apprécier les plantes, Monsieur.. Monsieur ?"

Sa voix était calme et douce tandis qu'il s'adressait à l'homme de la même façon qu'il se serait adressé à un enfant ou un animal effrayé de sa présence autoritaire, cependant rien de bétifiant dans le ton qu'il employa ou dans ses mots. Simplement quelque chose d'attentionné, révélant l'intérêt qu'il portait à la question.

Une fois la fleur parfaitement mise en place dans ses cheveux d'ébène, Coleen se tourna à nouveau vers Logan. Il semblait fasciné par les fleurs de la pièce et fit même un compliment sur les pivoines. Il était dommage que le thème des fleurs n'ait pas été abordé avec Belig. La jeune femme se serait bien entendue avec Logan sur ce sujet.

Coleen pivota légèrement pour se retrouver face à Lain qui venait de s'adresser à Logan.

"J'ai trouvé monsieur dans la cuisine en compagnie d'une autre femme qui a eu des paroles blessantes envers Belig. Je n'aime pas la voir triste, Lain." dit-elle d'un ton dénué d'émotion malgré le contenu de ses dires. Coleen avait toujours cette habitude de parler de toute chose comme si elle récitait une lecture qui ne la concernait pas.

Elle fit quelques pas sous la verrière, regardant d'un oeil distrait le jardin. Peut-être aurait-elle le temps d'aller voir Doineann avant la fin de la journée.

Le crissement de la plume sur le papier se tut d'un seul coup, suivi du léger son cristallin du couvercle de l'encrier que la silhouette qui était tout occupée à ses travaux d'écriture venait de refermer.
L'homme, puisque c'en était un, toujours assis sur sa chaise, venait de se tourner pour lui faire face.
Logan fut troublé par la pâleur du visage et par la couleur terne des yeux qui le jugeaient.
Un peu comme il l'avait fait précédemment lui même en observant les plantes du jardin d'hiver, l'homme semblait évaluer son état de santé et sa vigueur.
Ce regard presque inquisiteur d'un homme à l'aspect cadavérique troublait Logan et quand la voix douce se fit insistante pour obtenir son nom, Logan se sentit presque paralysé.
Cet homme s'adressait à lui comme s'il cherchait à le rassurer, à l'apprivoiser. Logan ouvrit la bouche mais déjà, la jeune fille avait pris la parole, le sauvant sans le savoir de l'hésitation et de la crainte qui l'étraignait à ce moment.
Logan en profita pour prendre une grande inspiration, pour retrouver une once de courage et pour chasser la timidité qui le paralysait.
La voix détachée et étrangement distante de la jeune fille s'était éteinte, comme si elle n'avait rien à ajouter de plus.

*C'est mon tour...*

La voix de Logan s'éleva dans le jardin d'hiver et son timbre grave sembla résonner contre les parois de verre :

"Carragaheen... Logan Carragaheen.
Oui Monsieur, j'apprécie les plantes... ainsi que leur compagnie. Elles me semblent souvent bien plus faciles à comprendre que les êtres humains... et je les connais bien mieux que je ne peux connaître mes contemporains..."

Logan s'était présenté et hésitait à justifier sa présence dans cette pièce, dans cette maison... Il devait... il devait dire pourquoi il était là, mais en fait, il l'ignorait lui même :

"Je... je me restaurais à la cuisine quand Mademoiselle (désignant la jeune fille de sa grande main ouverte, comme s'il la présentait à l'homme) m'a conduit jusqu'ici..."

Lain continua de sourire en écoutant la fillette puis la réponse de Logan.
Quand celui-ci se tut, il croisa les jambes et s'appuya plus confortablement au dossier de sa chaise.

"Lain Chattan. Ainsi vous nous êtes arrivé sans qu'un but précis ne vous y pousse. Bien, bien.. C'est donc ainsi que cela se fera."

Laissant sa phrase en suspend, il sembla écouter quelque chose qui venait de la maison en tapotant sa lèvre du bout de ses doigts gantés.

"Avez vous rencontré ma soeur, Monsieur Carragaheen ? Oui bien sûr.."

Sans s'en rendre compte il faisait lui-même les questions et les réponses, ses sourcils froncés et ses iris étincelants trahissaient une profonde reflexion.

"Accepteriez vous un emploi ? Nous ne serions pas opposés à recevoir un peu d'aide, voyez-vous. Pour le jardin, l'entretien des chevaux et les travaux habituels de la maison. Le logement et le couvert vous seront bien entendu fournis et un pécule vous sera mis de coté chaque semaine dont vous pourrez disposer à la fin de votre séjour.. Je pense que Belig serait soulagée si vous décidiez d'accepter. Mais bien entendu je vous laisse le temps de réfléchir à cette proposition qui peut vous sembler soudaine."

Il saisit l'épais volume et se levant, le tint au creux de son bras.

Logan fixait le visage d'une pâleur quasi cadavérique mais sur lequel se dessinait un sourire. Toute son attention était tournée vers les paroles de l'homme qui questionnait en apportant les réponses, comme s'il décidait de ce qui se passait en ces lieux.

*C'est donc ainsi que cela se fera... Qu'est ce qui se fera ? Lain Chattan... Sa soeur ? Belig ? La rousse et belle femme... Le jardin, les chevaux, les travaux, logement et couvert... Belig, soulagée... Un emploi ? Y réfléchir ? Je n'ai rien d'autre !*

L'homme répondant au nom de Lain Chattan venait de se lever. Il allait probablement s'en aller et, Logan avait beau se montrer d'une grande timidité, il n'en était pas pour autant stupide. L'offre que venait de lui proposer cet homme était, pour l'instant, son seul salut, s'il ne voulait pas continuer à errer et à mendier de place en place.
Avant que Lain n'ait commencé à faire le moindre pas, la grosse voix de Logan s'élevait de nouveau :

"Monsieur, ne prenez pas mal mon empressement mais, cette proposition, certes soudaine, est toute réfléchie. J'accepte volontiers votre offre et je vous remercie pour la confiance que vous me témoignez. Je saurais prouver que vous avez fait le bon choix, monsieur..."

Logan cessa de parler, tentant de retrouver un calme intérieur. Il s'était précipité sur l'opportunité que représentait pour lui cette proposition et son débit de parole, trop rapide, pouvait être facilement interprêté comme une réponse... désespérée.
Plus lentement et plus calmement, il ajouta :

"Par quoi dois je commencer, monsieur ?"

Coleen avait gardé le dos tourné, regardant le jardin paisiblement et laissant courir son index sur la vitre, suivant la démarche paresseuse d'une coccinelle de l'autre côté du verre comme une innocente enfant, attendant sagement la fin de la conversation des adultes.

Pourtant, lorsqu'elle se retourna à nouveau vers les deux hommes, son regard était précis, décidé et ses paroles montrèrent qu'elle n'avait absolument rien perdu de la conversation et l'avait même enregistrée avec un sens du détail impressionant.

"Monsieur Carragaheen..." commença-t-elle d'une voix assez basse tout en avançant vers lui d'un pas détendu.

"Je pense que vous devriez faire plus ample connaissance avec Belig et partager votre point de vue avec elle sur ce que vous pensez des plantes."

Elle fit une légère pause, levant ses yeux violets vers Logan désormais homme à tout faire au manoir et lui dit tout bas dans un murmure.

"Je sais... que vous n'êtes pas venu sans but, monsieur Carragaheen... rassurez-vous... vous n'aurez plus à souffrir de la faim..."

Puis, comme elle l'avait déjà fait dans la cuisine, elle glissa avec douceur sa main blanche et douce dans celle de l'homme, carrée et imposante.

"Puisque vous avez accepté l'offre de Lain, laissez-moi vous montrer en premier lieu les écuries."

Et là, contre toute attente, alors qu'elle avait gardé la même expression de visage durant tout ce temps et face à toutes ces personnes différentes, Coleen, qui n'avait pas détaché son regard de Logan étira lentement ses lèvres dans un sourire éclatant, éclairant son visage d'une douceur enfantine et de gaieté.

Lain plongea son regard pale dans les yeux de l'homme qui lui faisait face.
Les choses lentement se mettaient en place d'elles mêmes, ainsi que cela s'était toujours produit.

Il tapota du bout des doigts la reliure du livre qu'il tenait et sourit.

"Et bien, voici une affaire promptement conclue. J'aime que l'on se décide rapidement. Apres avoir visité les écuries avec Coleen puisque cela semble lui tenir à coeur, vous trouverez une chambre qui vous sera préparée à l'étage du personnel, qui, pour être sous les combles n'en est pas moins un endroit agréable. Si quelque chose vous faisait défaut, parlez m'en. Ne craignez pas de vous chauffer correctement, nous ne sommes pas de ces maisons qui comptent la chandelle et le bois à leurs employés."

Il baissa alors les yeux sur Coleen, un peu surpris de la voir tellement enthousiaste.

"Il semble que l'arrivée de Monsieur Carragaheen vous soit beaucoup plus agréable que celle de votre nouveau précepteur. Vous me voyez enchanté qu'une personne au moins dans cette maison vous plaise, mais il ne faudrait pas oublier d'étudier pour autant. Allez maintenant, je vous laisse le soin d'enseigner à notre nouveau jardinier les usages de la maison. Puis vous rentrerez et prendrez la collation avec tout le monde. Même si cela vous ennuie, Mademoiselle."

[Salle à Manger]

La jeune fille lui souriait. Son visage enfantin était tout illuminé et Logan, à qui on n'avait pas souri avec autant de sincérité depuis de nombreuses années, se promit de garder intacte cette image dans ses souvenirs.
Avec un plaisir non dissimulé, un grand sourire peut être un peu trop benêt sur son visage, il accepta la douceur de la petite main qui se glissait dans la sienne.
Doucement, précautionneusement, comme s'il tenait un petit animal fragile au creux de sa main puissante, il referma les doigts sur la main de Coleen.

Il sentit la tension que faisait la jeune fille sur son bras, pour le mener jusqu'aux écuries... et qui sait peut être jusqu'à la rousse et belle Belig.

Quand la jeune fille se retourna afin de remercier Lain, Logan jeta un dernier coup d'oeil à l'homme pâle à l'air maladif. Il ne prononça pas un mot mais son regard était empli d'une profonde reconnaissance, semblable à celui d'un chien qui regarde son maître.

L'homme lui accordait une chambre... et du chauffage. L'idée d'un lit bien chaud où se glisser confortablement fit sourire Logan qui quitta la pièce en serrant plus fortement encore, comme si elle n'en était que plus précieuse, la petite main de la jeune fille.

[Domaine - Pavillon Chattan - Ecuries]

Sentant les doigts de l'homme se resserrer sur sa main, Coleen baissa les yeux, détachant son regard de celui de Logan, pour les poser à nouveau sur Lain. Son sourire se dissipa calmement jusqu'à ce qu'elle retrouve son visage parfaitement hermétique à toute émotion.

Elle écouta son tuteur attentivement puis hocha la tête. Lain était inflexible, elle le savait et elle n'avait ni l'envie, ni le pouvoir de le contrer dans ses décisions. Se retrouver une fois de plus parmis tous ces étrangers lui pesaient terriblement et elle aurait largement préféré partir en balade dans les landes.

"Merci Lain." dit-elle simplement pour lui faire comprendre que d'avoir embaucher Logan était une bonne chose.

Coleen se retourna doucement puis entraîna le jardinier hors de la pièce.

[Domaine - Pavillon Chattan - Ecuries]