La Bibliothèque

Visiteur Nombre de messages : 257 Date d'inscription : 21/08/2005

[Le Deuxième étage - La Chambre d'Owen et d'Irvine]

Arrivé dans le hall, Owen s'arrêta un court instant, indécis. La maison semblait déjà endormie, même si les chandelles restaient allumées. Mais ce n'était pas pour lui déplaire, loin de là. Il serait tranquille.

Il prit sereinement la direction de la salle à manger, et ouvrit doucement une porte voisine. Il resta émerveillé.

La pièce dans laquelle il venait de pénétrer était de belles dimensions. Un immense lustre éclairait des rayonnages entiers d'ouvrages, qui couvraient tous les murs. Au milieu trônait une grande table ovale ; ici, un petit secrétaire ; là, une vitrine. Laissant la porte entrouverte derrière lui, Owen s'approcha à pas lents d'une étagère proche, et lut quelques titres... qui lui étaient parfaitement inconnus. Il avança encore un peu, et deux mots imprimés sur la tranche d'un gros livre retinrent son attention: Moby Dick.

Sa main resta suspendue un instant au-dessus de l'ouvrage, puis ses doigts effleurèrent juste la couverture avant de s'en éloigner. Un peu plus loin, il accorda une caresse à son vieil ami Don Quijote. Quelques livres après, un véritable sourire d'amitié éclaira son visage lorsqu'il déchiffra "V. Hugo, Les Contemplations". Il chercha avec avidité "L'Île au Trésor" et "Les Aventures de Tom Sawyer", mais ne réussit pas à les dénicher.

Au bout d'un moment, il recula et embrassa du regard les rayonnages. Une belle collection. Pris par un caprice d'enfant, il ferma les yeux et avança vers les livres, le doigt tendu. Il manqua au passage de renverser un guéridon, mais ne s'arrêta que lorsque son index se trouva en contact avec une couverture de cuir. Il ouvrit alors les yeux, réjoui à l'avance, et plissa les paupières pour lire... Quelques mots d'une langue qu'il ne connaissait pas. Un brin refroidi dans son élan, son moral remonta cependant en flèche à la vue de "Robinson Crusoe", et il extirpa le livre avec... oui, avec amour.

« Comme on se retrouve... » murmura-t-il d'une voix rauque.

Le Capitaine s'assit dans le fauteuil le plus proche, et garda le livre fermé sur ses genoux. Il ferma les yeux, inspira profondément jusqu'à ce qu'il sentît les effluves qui entouraient l'île. Alors seulement, il souleva les paupières et, un sourire errant entre les poils de sa barbe, il ouvrit l'ouvrage. Ses oreilles se fermèrent à la réalité, et la phrase lui sauta au nez.

La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent.

Un bruissement d'ailes.
Léger et soyeux.
L'oiseau de nuit avait dû profiter de quelque fenêtre laissée entrouverte.
Posé sur le dossier d'un fauteuil, il ouvrait et fermait ses gros yeux d'or lentement.
On aurait pu penser à un gros jouet automate, immobile ornement dont seule la tête par instant se tournait vers Owen.

un autre oiseau plus petit, tête ronde et plumage terne se tenait sur une haute potiche chinoise.
Il sembla un instant curieux du contenu de l'objet, puis à son tour se mit à fixer le marin.

Puis, alors que l'instant d'avant tout était vide, une multitude de volatiles de toutes sortes avait envahi la bibliothèque.
Partout où l'on posait le regard, on croisait l'oeil vif d'un passereau ou d'une pie.
Et la pièce soudain était envahie de l'odeur chaude, poussièreuse, grasse et étouffante des volières.
Un merle, plus hardi que les autres se tenait sur le sol, à un metre à peine du pied de l'homme.
Et tous, depuis les rayonnages, ou la table, l'empilement de volumes attendant d'être rangés ou les pendeloques du lustre, le bord du tapis ou le dossier des hautes chaises, tous concentraient leur attention silencieuse sur Owen.

Visiteur Nombre de messages : 257 Date d'inscription : 21/08/2005

Owen était plongé dans son livre comme on s'immerge dans ses souvenirs. C'était comme si les mots avaient attendu pendant des années, patiemment, qu'il revienne, lui.

Il fallait donc plus qu'un bruissement d'ailes pour arracher le marin à sa lecture. En revanche, le nez du Capitaine détecta rapidement le changement d'atmosphère. De salé et lourd, l'air était devenu âcre et lourd. Owen renifla une ou deux fois sans s'en rendre compte, comme pour chasser cet élément qui perturbait ses retrouvailles avec l'Île. Mais l'odeur ne passa pas. D'inconsciente, la perception parvint bientôt à l'esprit d'Owen. Il leva la tête.

Un merle. Owen cligna des yeux. Une pie. Un corbeau. Un étourneau. Un oiseau. Un autre oiseau. Un autre oiseau. Un autre, encore, toujours, partout.

Un frisson glacé traversa la nuque du marin. Les pupilles dilatées, il fixait, paralysé, le cauchemar qui s'offrait à lui. Des centaines de volatiles avaient envahi la pièce. L'élégant salon où il croyait avoir trouvé le repos. Le bonheur.

Owen se leva avec une extrême lenteur, les yeux vides. Ces oiseaux n'étaient pas normaux.
Rien n'était normal ici.

Il atteignit presque la porte. Alors l'automate se réveilla et ses yeux se détournèrent des volatiles pour se poser sur le fauteuil qu'il venait de quitter. Defoë.

« Hell. » lâcha-t-il en un souffle.

Il ne pouvait pas le laisser là. Pas à moitié ouvert, ou à moitié fermé, sur ce fauteuil, au milieu de ces oiseaux inhumains et de cette maison de fous. Pas après si longtemps.

Ces yeux... Des dizaines de petits yeux ronds et vifs fixés sur lui. Et Defoë sur le fauteuil, qui criait à l'aide. Et pas de bouée à lancer. Juste lui en entier.

La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent.

Alors, le Capitaine ignora délibérément les prémices de la panique qui s'étaient immiscées en lui, et il retourna au milieu des yeux inquisiteurs. Ses doigts se refermèrent sur l'ouvrage relié de cuir. Defoë. Sauvé. Sauvés ?

Aucun oiseau ne bougea vraiment.
L'odeur seule se fit plus présente à mesure que les plumes s'ébourrifaient.
Etait-ce dû à l'action d'une brise inexistante ou était-ce la colére qui gonflait ainsi les duvets.

Les volatiles fixaient Owen, le chemin vers la porte était encore libre, mais pour combien de temps ?
Combien de temps avant qu'un nuage de becs et d'ongles se déchainent sur la chair fragile de l'homme ?

Visiteur Nombre de messages : 257 Date d'inscription : 21/08/2005

La main d'Owen s'était refermée avec force sur le livre, et n'était pas prête à le lâcher. Le marin, les yeux légèrement exorbités, s'était arrêté près du fauteuil une seconde, et avait osé lever les yeux sur les dizaines d'oiseaux qui l'entouraient. Un véritable cauchemar.

Cependant, l'état d'hébétude dans lequel Owen était plongé se leva brutalement, et le Capitaine, son Robinson sous le bras, se mit à courir vers la porte. Une onde glacée parcourait sa colonne vertébrale, et son coeur battait un peu plus vite que de coutume. Owen ne voyait que la sortie, l'échappatoire. Ne plus croiser ces regards perçants, furieux, inquisiteurs. Fuir cette odeur chaude et lourde qui lui donnait la nausée.

Il claqua la porte de la bibliothèque derrière lui, mais ne prit pas le temps de souffler. Son coeur battait dans ses oreilles...

En courant toujours, il manqua de s'étaler dans le couloir en glissant sur un tapis, mais attrapa à temps la rampe de l'escalier. En soufflant bruyamment, il gravit les marches en les sautant trois par trois. Partir. Loin d'ici, retourner à Aberdeen. Partir à l'instant. Arrivé sur le second palier, il serra l'ouvrage pris contre sa poitrine et abandonna la course pour de grandes enjambées jusqu'à sa chambre, reprenant haleine à grand'peine. En oubliant totalement que son compagnon de chambrée devait dormir, il ouvrit brusquement la porte et s'engouffra dans la chambre.

Edit de Loch Lurgainn House : la suite au Pavillon Chattan