Owen Brunett - Passage volontaire du pont

Visiteur Nombre de messages : 257 Date d'inscription : 21/08/2005

Owen posa sans appréhension le pied droit sur la premier latte du pont, et bascula le poids de son corps vers l'avant. Un petit grincement se fit entendre et, conformément à ce qu'il avait prédit, le marin put s'engager sur l'édifice sans risquer de tout faire écrouler... Lentement, il fit quelques pas, ses mains caressant au passage les cloisons de bois vermoulu. Les échardes ne lui faisaient pas peur, depuis le temps; ses mains en avaient reçu tellement dans ses débuts qu'elles semblaient en avoir acquis leur dose pour la vie. Levant la tête, Owen constata avec un brin d'étonnement que le toit attendrait bien encore quelques années -à moins d'un prodigieux orage- avant de tomber en miettes pourries sur le sol, obstruant ainsi le passage.

Vers le milieu du pont, devant un large trou qui avait dû être en période de gloire une agréable fenêtre, le Capitaine arrêta sa progression et s'y accouda avec précaution, penchant la tête vers l'eau stagnante. Curieusement, il n'arriva pas à y déceler son reflet... Loin de s'en préoccuper, il sortit sa fidèle pipe de la poche qu'elle partageait avec l'harmonica et la coinça entre ses lèvres entrouvertes. Moment de quiètude mêlée à la certitude proche d'un conte merveilleux, quelques mètres plus tard, qui promettait un frisson de bonheur... Pour la peine, Owen bourra sa pipe et l'alluma en craquant une allumette qu'il regarda brûler jusqu'au bout de ses doigts. Lorsqu'il ne lui resta plus qu'un petit bout de bois noirci, il le laissa tomber dans l'eau et fixa en tirant une bouffée les petits ronds concentriques qu'il provoqua à la surface...

Un geai bleu, certainement étonné de la présence de l'homme sur le pont peu emprunté, quitta la branche de saule sur laquelle il était posé.

Enhardi par l'immobilité d'Owen, il vint voleter autour de lui et la curiosité lui faisant oublier la prudence, il vint se poser à quelques centimètres de l'homme, sur l'extrémité d'une solive extérieure, observant les bouffées de fumée de son oeil rond avec de petits mouvements saccadés de la tête.

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Dans le silence merveilleux du lieu, Owen décela immédiatement le bruissement d'un battement d'ailes à ses côtés. Très lentement pour ne pas effrayer l'oiseau, le Capitaine tourna la tête et se trouva face à un petit geai, espèce qu'il n'avait pas l'occasion de voir souvent. Pourtant, la beauté des plumes noires et bleues était indéniable. Son absence de cri le rendit immédiatement sympathique à Owen qui le décréta plus aimable que la bruyante mouette. Le marin fixa son compagnon de fortune et eut un sourire en découvrant ce qui l'intriguait: la fumée.

Inspiré, il tira une énorme bouffée qui provoqua un nuage gris, suivie d'une toute petite, et ainsi de suite. En voyant la petite tête bouger au rythme de ces expériences, Owen retint un rire joyeux, de peur d'effrayer le geai. Il plongea la main dans son sac et y récolta quelques miettes témoins de son dernier repas. Il les déposa au creux de sa paume et avança doucement la main en direction du minuscule et brillant bec noir.

Le petit geai fixa la main ouverte et les miettes qui y reposaient.
Il sautilla vers l'homme et se tenant encore à distance essaya d'allonger le cou au maximum pour se saisir de la nourriture sans s'approcher.
Peine perdue.
Il sembla hésiter un instant, puis tentant le tout pour le tout, pris son envol et plongea vers les restes de pain offerts.
Le bec noir, brillant et éffilé entailla violement la paume en se saisissant d'une miette.

Aussitôt, surgissant de tous côtés dans un bruissement d'ailes, un vol d'oiseaux de toutes sortes se précipita sur l'homme et la nourriture qu'il distribuait.
Merles, passereaux et mésanges, tous mélés dans l'attaque, plantant leur bec n'importe où, ouvrant des plaies sanglantes dans les mains du marin.

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(Hitchcock revu par LLH)

Les yeux d'Owen s'ouvrirent démesurément lorsqu'ils captèrent l'image des dizaines d'oiseaux plongeant sur la main ouverte. Cette main pourtant calleuse et rudoyée, cette main trahit sa légende en laissant apparaître de nombreux filets rouges dans sa paume. Les becs acérés des volatiles savaient y faire...

Le Capitaine commença par secouer la main violemment, espérant ainsi désespérer les oiseaux. Les quelques miettes qui restaient tombèrent dans l'eau, ce qui -hélas !- ne parut pas les attrister outre mesure... Le marin ne ressentait pas la douleur, il était tout entier envahi par la stupéfaction et l'instinct défensif. Ses deux mains s'agitaient comme deux rapaces au-dessus de lui, assommant parfois une petite tête agressive, mais ne parvenant pas à se débarrasser de cette volaille cauchemardesque. Owen tenta de protéger sa tête derrière son bras gauche, peine perdue. Il vociféra, poussa un cri rauque, en vain. Pris d'une subite inspiration qui pouvait prévoir le meilleur comme le pire, il souffla tout l'air de son corps, puis reprit violemment respiration dans sa pipe, obtenant alors un gros nuage noir et pestilentiel autour de lui. Pendant quelques secondes, il ne vit plus rien, sentant toutefois l'attaque des oiseaux enragés qu'il tentait toujours de repousser en donnant des coups dans le brouillard. Puis la brise dissipa la fumée, et la lumière fut.

Un instant décontenancés par la fumée, les oiseaux s'égaillèrent dans toutes les directions.
Puis le nuage odorant se dissipa et leur cible à nouveau visible, ils se jetèrent pour la seconde fois à l'attaque.

Rien ne semblait pouvoir les effrayer, ni la vue de leurs congénèrent assommés par les grandes mains du marin, ni les grands gestes qu'il faisait pour les éloigner.

Peu à peu, ils cherchaient à repousser l'homme sous le pont dans lequel il s'engouffrèrent lui coupant toute retraite, l'obligeant à gagner la sortie pour échapper à leurs coups de becs rageurs.

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Owen connut quelques secondes de répit grâce à sa ruse, et se crut sauvé. Sentiment hâtif s'il en est, puisque, la clarté revenue, les oiseaux repartirent de plus belle à l'attaque. Ils le forcèrent à rentrer sous la toiture. Là, les bestioles semblèrent redoubler de rage en constatant que leur liberté était entravée par le bois, et le marin se vit obligé de courir en direction de la lumière du jour, poursuivi par l'armée de volatiles.

La sueur et le sang piquetés sur son front coulèrent dans sa course, l'aveuglant à moitié. Mais Owen courait comme un damné, ne pensant plus qu'à trouver un refuge au plus vite. Cependant, dès qu'il eut posé la pointe du pied hors du pont, les oiseaux se calmèrent instantanément et reprirent un comportement normal, gazouillant de concert en rejoignant leurs branches respectives.

Abasourdi d'incompréhension et de colère, le Capitaine leva un poing haineux en leur direction, avant de se retourner vers le calme environnant. La magnifique vue sur un jardin éclatant au soleil ne réussit à le calmer qu'à moitié. Il tira un mouchoir de son sac et entreprit d'essuyer son front avant de bander sa main blessée en s'aidant de ses dents. Cela fait, il avança d'un pas vif à l'opposé du pont, un oeil noir aux cils retenant quelques goutelettes rouges prêt à fusiller tout prochain obstacle, quel qu'il soit.

[Jardin - La Grande Allée]

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